- Je voulais vous remercier pour les soins que vous avez fait à mon mari. Deux ans de soins, mais au final... Ça n'a servi à rien...
Parce qu'il est mort.
Voilà ce que la vieille dame n'arrivait pas à me dire.
"Ça ne sert à rien, les soins."
Si seulement elle savait combien de fois je me suis faite cette réflexion...
Me demander ce que je foutais là à écouter une dépressive me parler de sa vie qui va mal tout en sachant qu'elle n'ira pas mieux demain. Regarder ce mec toxicomane me dire qu'il n'a pas replongé alors qu'il suffisait que je plonge mes yeux dans les siens pour comprendre qu'il mentait comme un gosse face à sa mère. Toucher de mes mains un corps dont la vie s'échappe et me demander si j'ai encore le droit de dire que mes soins "soignent" alors qu'elle est en train de mourir...
La vieille dame a glissé devant moi le dossier dans lequel je cochais chacun de mes soins depuis deux ans. Un post-it avait été collé dessus par un de ses enfants pour ne pas que l'hôpital nous l'égard... Machinalement, je l'ai feuilleté. Beaucoup de surveillances et de soins cochés. Devant le sourire pudique et l'air triste de la vieille dame je lui ai dit :
- Il est resté chez vous, il a pu vous accompagner dans votre maison de vacances une dernière fois, il a pu aller au café chaque matin et rire avec les copains, il s'est réveillé dans vos bras, vous a pris la tête, vous a cassé les pieds... Et vous a brisé le coeur parce qu'il est mort. Alors non, tout ça, ça n'est pas rien...
Je suis une soignante qui ne soigne pas toujours et je me demande souvent à quoi ça sert tout ça. Mais j'essaye de faire comme ci pour ne pas que ça serve à rien.