C’était un jour de canicule comme aujourd'hui. Je tournais depuis cinq bonnes minutes dans le quartier à la
recherche d’une place. Agaçant. Alors
que la fin de ma tournée de soins du matin approchait et que mon retard s'accumulait,
j’entendais les doigts de mes prochains patients transpirants pianoter d’impatience
sur leur nappe cirée.
La chaleur agace. La chaleur fatigue.
La chaleur t’empêche presque de penser. Les jours de canicule, les patients
sont à prendre avec des pincettes et les soignants à éponger à la lingette.
Alors que j’attendais que le feu
devant lequel je repassais pour la quatrième fois passe au vert, je me mis à
rêver d’un système de « drive
inversé » pour nous les libéraux : je me stationnerai devant chez
mon patient, je lui téléphonerai pour lui demander de sortir, il se présenterait à
la fenêtre de ma voiture son bras ou son ventre en fonction de l’injection ou
du soin à faire, et hop, le tour serait joué ! J’appellerai ça le « Quicky-couic ! ». Et puis
je me suis imaginée ce que donnerait une intramusculaire dans la fesse par la
fenêtre de ma voiture je me suis dis que ce ne serait peut être pas une si bonne idée que ça… Heureusement pour moi, le feu passé au vert et un coup de klaxonne me sortient de ce quasi-cauchemar !
A défaut de mieux, je me garais à
l’arrache sur le trottoir large d’une maison, en prenant garde de laisser un
passage suffisant. Le plus dur restait maintenant à venir : se résigner à quitter
le cocon rafraichissant de mon bureau-roulant climatisé...
Je traversais en
courant le boulevard qui me séparait du bâtiment dans lequel je devais me
rendre. Le bitume fondait et je prenais plaisir à écraser, comme une gamine, les
petites bulles qui se formaient à sa surface. Ma gaieté fût refroidie et stoppée net par cet
imposant portail qui, malgré la chaleur, faisait un peu froid dans le dos :
« Pôle petite enfance – Foyer ».
Après avoir annoncé mon arrivé à l'interphone, un « bip »
déclencha l’ouverture de l’immense entrée. Un vent de chaleur pesante s’engouffra
en même temps que moi dans le porche qui menait aux bâtiments des enfants…
La pièce qui faisait office de salon
était étonnement vide. La télévision, habituellement assailli, avait été délaissé au
détriment d’une piscine trois boudins installée dans l’arrière cour de laquelle
on pouvait entendre des cris stridents de tous petits enfants. Ce foyer, qui s’évertuait
tant bien que mal à reproduire l’environnement d’une maison, accueillait des
enfants âgés entre 3 et 6 ans placés sur demande juridique. Mon travail d’infirmière
libéral consistait à refaire le pilulier de deux d’entre eux pour lesquels un
traitement psy avait été mis en place, malgré leur très jeune âge.
Je profitais de l’absence des
enfants pour faire un tour rapide de la pièce. L’agencement du mobilier, les couleurs
vives des dessins d’enfants accrochés aux fenêtres et le canapé en plastique bleu
ciel donnaient le ton : vous aviez l’impression d’être dans une crèche… A
la différence qu’ici, les enfants ne rentraient pas chez eux le soir. Les
pleurs de l’un d'eux provenant du bureau des éduc’ me rappela à ma mission et
je poussais la porte derrière laquelle s'exprimait un grand chagrin.
Un tout petit gars d’à peine
quatre ans se tenait sur une chaise de bureau bien trop grande pour lui. Il
faisait cette chose que font tous les enfants : il remuait frénétiquement
des jambes en donnant l’impression d’être sur une balançoire statique. Je passais derrière le bureau pour le saluer lui et l’éducatrice qui lui faisait face. Son visage
était rouge et ses joues portaient les marques des larmes qui avaient déjà coulé. Ses épaules bougeaient frénétiquement, bousculées par de très gros sanglots. L’employé
du foyer semblait avoir du mal à calmer l’immense peine, la colère qui semblaient
l’habiter. Il tenait entre ses doigts son doudou qu’il retournait dans tous les
sens lâchant parfois une main pour s’étaler sur son visage la morve qui coulait
malgré ses reniflades. L’éducatrice se leva pour l'installer sur ses genoux, elle lui essuya le nez. Devant mon visage un peu défait elle m’a raconté tout
en le berçant contre elle :
- Sa maman devait venir les chercher lui et son frère ce matin, pour les emmener à la mer. Ça faisait des semaines qu’elle en parlait. Ils avaient fait des dessins, plein de dessins tellement ils étaient heureux de partir une journée avec elle… Elle a appelé ce matin au dernier moment pour dire qu’elle irait à la mer avec son nouveau copain, mais qu’elle ne passerait pas les prendre. Il n’y a pas assez de place dans la voiture...