Ce matin, une patiente a repéré un de mes derniers tatouages sur mon bras et elle m'a dit avec une voix qui ne chantait pas la bienveillance :
- Mais il est pas fini votre papillon, il a pas de couleurs !
Je n'ai jamais compris ces patients qui se permettent de juger les goûts des autres. J'irai même jusqu'à dire que c'est quelque chose qui m'énerve. Peut être est ce parce que c'est quelque chose qui, d'après moi, ne regarde que l'autre. Mais parce que le piercing, le tatouage ou la façon de s'habiller relève justement du choix de chacun, il semblerait que certains se sentent légitimes de les juger.
Je lui ai simplement répondu : "C'est normal, j'attends que mes filles le colorient".
Je n'avais pas envie d'en dire d'avantage... Garder un peu de mon mystère à moi, et ne surtout pas le partager avec celle qui va jusqu'à critiquer l'indécence de la jupe trop courte de la voisine ou de la tenue de la présentatrice météo. Et alors que je l'ai entendu soupirer "Mais en plus ça doit faire mal..." moi, j'imaginais déjà ma fille me demander à la fin du repas "Dis maman, je peux colorier le papillon ?". J'adore ma capacité à entendre l'autre sans l'écouter pour trier ce qui a le droit d'entrer dans mon cœur ou pas !
En attendant, j'ai eu le droit à un papillon multicolore au dessert ! 😉
Alors que j’étais à genoux pour lui refaire son pansement, je me suis redressée. Deux petites formes cachées se dessinaient sous le graphisme de mon t-shirt représentant un corbeau tenant dans son bec une rose rouge et perché sur un crâne. " Rock & Roll ". La quadra’ venait de se faire opérer des seins et elle avait demandé au chirurgien de la soulager d'un 100 D qui la complexait depuis sa dernière grossesse. A la vue de ma poitrine, un large sourire envahi son visage.
Elle en avait plein le dos depuis trop longtemps et était pressée de découvrir son nouveau corps. Mais les cicatrices étaient boursoufflées, la poitrine était encore durcie par l’œdème et ne ressemblait pas vraiment à ce qu'elle avait commandé. Je sentais poindre chez elle l’inquiétude de ne pas réussir à intégrer sa nouvelle morphologie, alors je me suis redressée.
Nous avons parlé fringues, nous avons discuté complexes et dentelles. Je lui ai dis que sa poitrine allait être magnifique et nous avons souris en pensant à l’importance du contexte pour dire ce genre de choses. La prise en charge des pansements chez cette dame se déroulaient depuis le début dans une angoisse mêlée de gêne, jusqu’à ce moment. Jusqu’au moment où elle avait pu regarder mon T-shirt, imaginer les petites formes qui se dessinaient à travers en se disant qu’un jour elle aurait les mêmes...
J’ai longtemps pensé que pour être infirmière il fallait simplement écouter l’autre. L’écouter se plaindre, l’écouter pleurer, l’écouter geindre, gueuler ou chouiner.
Et puis un jour où j’étais étudiante infirmière en stage dans un lycée, une toute jeune femme m’a dit : « Mais vous, vous feriez quoi à ma place ? ».
Une boule bloqua net ma respiration pour s’encastrer au plus profond de moi. Comme pour faire remonter ce que je m’efforçais d’oublier. C’était comme si mon passé était revenu pour me tacler l’arrière du crâne en me disant « Tu vas quand même pas laisser passer ça ? ». Comme si je me voyais en face de moi-même. En face de celle que j’avais été...
J’étais assise sur cette chaise
en bois inconfortable qui grinçait, qui oscillait et qui n’invitait guère mon
postérieur à s’éterniser dans cette position. Forte heureusement pour moi, le
vieux monsieur avait des veines de rêve et la prise de sang devrait éviter à mes
fesses de perdre toute sensibilité.
Cet homme avait un regard
malicieux, et je le voyais du coin de l’œil me regarder de ces yeux bleus
clairs. L’ambiance était détendue. Il venait de me montrer une photo de lui,
beau garçon, marquant l’année de ses vingt ans. Mais alors que j’étais enclin à
sourire, le soleil estival aidant, et ma tournée légère et facile ce matin là facilitant
la bonne humeur, une seule phrase suffit à faire apparaitre au dessus de ma
tête un petit nuage de vexation orageux et pluvieux :
« C’est dommage, tous ces piercings sur un si joli visage, et ces
tatouages là… Vraiment, je ne comprendrais jamais… »
La proximité des corps aidant, certains
patients curieux me questionnent parfois sur ces drôles de dessins visibles
lors des soins. Quelques fois on me demande de raconter les symboles, le choix
des fleurs ou des couleurs. Les enfants que je soigne me montrent fièrement leurs
décalcomanies, certaines personnes âgées relèvent leurs manches pour me montrer
leurs dessins de peau à la couleur verdie et élargie par les années. Il existe
alors une connivence, un partage, une complicité qui n’aurait peut-être pas existé si je n’avais pas été tatouée également. La plupart du temps, le
tatouage n’amène pas au jugement mais à l’échange du « pourquoi » du « comment »,
même si parfois, le besoin de se justifier me fatigue un peu.
J’ai marqué un temps d’arrêt
alors que j’étais en train d’écrire ses informations personnelles sur ses tubes
de sang : 76 ans. J’ai levé les yeux vers lui. Dans son regard, je ne
voyais plus la malice mais le jugement d’un homme entrain de passer de mon nez à ma
bouche, à mon épaule et à mon bras en marquant un temps d’arrêt sur chaque
point de mon corps qui semblait lui poser problème.
De curiosité il n’était plus question
et je voyais clairement que derrière cette soi-disant note d’humour se cachait
l’esprit culotté d’un vieil homme qui ne cherchait pas à comprendre ou tolérer.
J’aurai pu lui avouer qu’on peut
être tatoué, adorer cultiver les légumes de son potager et aimer partager des
moments de complicités avec ses patients dans leur jardin au milieu de leur
parterre de fleurs.
J’aurai pu lui dire qu’on peut être
percé, chanter faux sous sa douche, rêver d’aller voir Nina Simone en concert et
chanter « La Java Bleue » à
une vieille patiente démente dont seul le chant calme les accès de colère.
J’aurai pu lui expliquer qu’on
peut être ce que je suis, verser une larme devant Pocahontas en chantant « au détour de la rivière », tenir
la main et caresser le front de quelqu’un en fin de vie, ou simplement proposer
son bras pour aider une personne âgée à marcher et son aide à un jeune
tétraplégique pour l’installer dans son fauteuil.
J’aurais pu me lancer dans une longue argumentation, dans des paroles qui se
voulaient ouvertes et tolérantes. Mais le petit nuage qui était apparu au
dessus de ma tête m’avait obscurcit l’esprit et j’ai préféré laissé couler, plutôt
que de me fatiguer à faire changer d’idée un homme, de doute évidence aigri.
Une fois assise derrière mon
volant, j’ai enclenchée le contact un peu vexée d’avoir été jugée. Lorsque l’on
est tatouée de façon visible, on doit apprendre à faire avec certains regards
aux caisses de grandes surfaces ou dans la pataugeoire de la piscine où j'accompagne ma fille.
Parfois on s’en fiche, parce qu’on se dit que c’est une démarche tellement
personnelle que les dessins sont encrés en nous, qu’ils sont « nous », un peu comme
certaines cicatrices qu’on finit par ne plus voir et qui font parti intégrante
de notre corps et de son histoire. Parfois on se vexe parce que personne de
censé ne devrait se permettre de juger les particularités physiques, choisies ou
non.
Le jugement n’est présent que
pour les personnes incapables de comprendre que la différence ne se situe pas
sur une peau. Elle est en chacun de nous. Nous sommes tous différents et c’est
grâce à cela que la nature humaine est si enrichissante. Ainsi, devant l’étroitesse
d’esprit, la bêtise et le jugement de la soi-disant différence, je préfère l’indifférence… Et Yeah !
Allez, un peu de sensiblerie bordel !
Biisou ♡
► Vous pouvez également retrouver un autre article sur l'un de mes tatouages : ici !
J’aime le tatouage. Certains que
je porte sont plus importants que d’autres et bizarrement, celui qui fait le plus tiquer mes patients est un simple mot. Je les vois alors pencher la tête discrètement sur
le côté et tenter de lire ce qu’il y a de noté. Parfois je fais celle qui n’a
rien vu, parfois je prend le temps et j’accepte de me dévoiler un petit peu à eux...
" Pourquoi vous avez
« vivante » de tatoué sur le poignet ?"
Il est vrai que ce n’est pas le
genre de mot que l’on voit habituellement tatoué sur un avant bras. D’habitude
ce sont les prénoms de nos enfants que l’on affiche fièrement aux yeux de tous.
Moi je me suis fais tatouer « vivante »,
symboliquement placé au niveau de la prise du pouls radial.
L’écriture est
simple, sans fioritures, j’aurais pu l’avoir écris moi-même avec un stylo
bille. C’est ce que je fais souvent pour me rappeler d’acheter telle chose ou
de penser à prendre tel rendez-vous, je l’écris sur la face interne du poignet.
C’était d’ailleurs un peu l’idée recherchée : jeter un coup d’œil et me
rappeler l’importance qui se cache derrière ce mot tout simple qui résonne
comme quelque chose de léger et de fort.
- C’est pour me rappeler que le
plus important est d’être vivante… J’ai perdu des êtres chers, j’ai failli en
perdre d’autres, et j’avoue m’être un peu perdue moi-même à un moment. « vivante », c’est pour me
rappeler que peu importe ce que nous réserve la vie, peu importe les coups,
les peurs, les pleurs, l’important est de se sentir vivre, de se sentir bien « vivante ». Malgré tout, je
vois la vie comme une chance, une opportunité qui m’aurait été donné de pouvoir
ouvrir les yeux sur le monde et de réaliser tout ce qu’il m'est possible de faire
pour moi et pour les autres.
Être « vivante »
c’est attraper de la main tous les petits bonheurs, les sourires, les rayons de
soleil à travers les nuages. Percevoir la minuscule goutte de pluie sur la pointe d'un brin
d’herbe ensoleillé, et se dire que tous les moments de notre vie ont permis d’arriver
à ce moment précis. Se sentir unique et chanceux de voir le soleil se coucher
le soir en se disant qu’on aimerait le voir se relever le lendemain matin. Être
« vivante » c’est accepter
de pleurer et d’être mal pour apprécier d’avantage les rires et le bonheur.
Je pratique un métier qui me fait
côtoyer la douleur, la peur et la mort. « Vivante »
c’est un hommage à ma plus grande chance : être en vie et en profiter pour
ceux qui ne le peuvent plus.
J'ai fais ce tatouage dans un moment de ma vie où j'étais particulièrement heureuse, et chaque fois que je le regarde, je me rappelle combien je suis chanceuse de me trouver dans mes pompes !
► Vous pouvez également retrouver un autre article sur le vécu de mes patients face à mes tatouages : ici !
Nous l'avions bien compris dans le précédent coup de cœur infi', le cancer du sein "C'est la merde !". C'est la mouise et la nécessité d'une mastectomie (ablation du sein) oblige bien souvent à se défaire d'une partie importante de son anatomie mammaire : le téton.
Le téton, le mamelon, l'aréole, la papille mammaire... Tout un programme ! Tantôt objet nourricier, tantôt objet de convoitise et de fantasme ou simple petite excroissance importante car omniprésente, cette toute petite partie charnue surplombant le galbe du sein représente parfois tout un symbole pour la femme qui doit alors apprendre à vivre sans... Parce que le cancer du sein ne lui laisse pas le choix.
Pas le choix, à moins de franchir la porte du salon de tatouage de Vinnie Myers : le "Monsieur téton des states" !
Vinnie Myers [photo de John Loomis]
Le salon de tatouage, le "Little Vinnies Tatoos" dans le Maryland aux Etat-Unis, accueille depuis 22 ans des femmes prêtent à traverser le pays et l'océan pour remettre entre ses mains une poitrine reconstruite après un cancer du sein.