J’étais assise sur cette chaise
en bois inconfortable qui grinçait, qui oscillait et qui n’invitait guère mon
postérieur à s’éterniser dans cette position. Forte heureusement pour moi, le
vieux monsieur avait des veines de rêve et la prise de sang devrait éviter à mes
fesses de perdre toute sensibilité.
Cet homme avait un regard
malicieux, et je le voyais du coin de l’œil me regarder de ces yeux bleus
clairs. L’ambiance était détendue. Il venait de me montrer une photo de lui,
beau garçon, marquant l’année de ses vingt ans. Mais alors que j’étais enclin à
sourire, le soleil estival aidant, et ma tournée légère et facile ce matin là facilitant
la bonne humeur, une seule phrase suffit à faire apparaitre au dessus de ma
tête un petit nuage de vexation orageux et pluvieux :
« C’est dommage, tous ces piercings sur un si joli visage, et ces
tatouages là… Vraiment, je ne comprendrais jamais… »
La proximité des corps aidant, certains
patients curieux me questionnent parfois sur ces drôles de dessins visibles
lors des soins. Quelques fois on me demande de raconter les symboles, le choix
des fleurs ou des couleurs. Les enfants que je soigne me montrent fièrement leurs
décalcomanies, certaines personnes âgées relèvent leurs manches pour me montrer
leurs dessins de peau à la couleur verdie et élargie par les années. Il existe
alors une connivence, un partage, une complicité qui n’aurait peut-être pas existé si je n’avais pas été tatouée également. La plupart du temps, le
tatouage n’amène pas au jugement mais à l’échange du « pourquoi » du « comment »,
même si parfois, le besoin de se justifier me fatigue un peu.
J’ai marqué un temps d’arrêt
alors que j’étais en train d’écrire ses informations personnelles sur ses tubes
de sang : 76 ans. J’ai levé les yeux vers lui. Dans son regard, je ne
voyais plus la malice mais le jugement d’un homme entrain de passer de mon nez à ma
bouche, à mon épaule et à mon bras en marquant un temps d’arrêt sur chaque
point de mon corps qui semblait lui poser problème.
De curiosité il n’était plus question
et je voyais clairement que derrière cette soi-disant note d’humour se cachait
l’esprit culotté d’un vieil homme qui ne cherchait pas à comprendre ou tolérer.
J’aurais pu me lancer dans une longue argumentation, dans des paroles qui se voulaient ouvertes et tolérantes. Mais le petit nuage qui était apparu au dessus de ma tête m’avait obscurcit l’esprit et j’ai préféré laissé couler, plutôt que de me fatiguer à faire changer d’idée un homme, de doute évidence aigri.
J’aurai pu lui avouer qu’on peut
être tatoué, adorer cultiver les légumes de son potager et aimer partager des
moments de complicités avec ses patients dans leur jardin au milieu de leur
parterre de fleurs.
J’aurai pu lui dire qu’on peut être
percé, chanter faux sous sa douche, rêver d’aller voir Nina Simone en concert et
chanter « La Java Bleue » à
une vieille patiente démente dont seul le chant calme les accès de colère.
J’aurai pu lui expliquer qu’on
peut être ce que je suis, verser une larme devant Pocahontas en chantant « au détour de la rivière », tenir
la main et caresser le front de quelqu’un en fin de vie, ou simplement proposer
son bras pour aider une personne âgée à marcher et son aide à un jeune
tétraplégique pour l’installer dans son fauteuil.
J’aurais pu me lancer dans une longue argumentation, dans des paroles qui se voulaient ouvertes et tolérantes. Mais le petit nuage qui était apparu au dessus de ma tête m’avait obscurcit l’esprit et j’ai préféré laissé couler, plutôt que de me fatiguer à faire changer d’idée un homme, de doute évidence aigri.
Une fois assise derrière mon
volant, j’ai enclenchée le contact un peu vexée d’avoir été jugée. Lorsque l’on
est tatouée de façon visible, on doit apprendre à faire avec certains regards
aux caisses de grandes surfaces ou dans la pataugeoire de la piscine où j'accompagne ma fille.
Parfois on s’en fiche, parce qu’on se dit que c’est une démarche tellement
personnelle que les dessins sont encrés en nous, qu’ils sont « nous », un peu comme
certaines cicatrices qu’on finit par ne plus voir et qui font parti intégrante
de notre corps et de son histoire. Parfois on se vexe parce que personne de
censé ne devrait se permettre de juger les particularités physiques, choisies ou
non.
Le jugement n’est présent que
pour les personnes incapables de comprendre que la différence ne se situe pas
sur une peau. Elle est en chacun de nous. Nous sommes tous différents et c’est
grâce à cela que la nature humaine est si enrichissante. Ainsi, devant l’étroitesse
d’esprit, la bêtise et le jugement de la soi-disant différence, je préfère l’indifférence… Et Yeah !
Allez, un peu de sensiblerie bordel !
Biisou ♡
► Vous pouvez également retrouver un autre article sur l'un de mes tatouages : ici !