Une petite déclaration d'amour ne fait jamais de mal...
Ce matin j’ai pris le volant pour
la dernière fois avant plusieurs mois. A la fin de ma tournée, à la fermeture
de la porte de mon tout dernier patient je serais officiellement en congé
maternité pour quatre mois. Et comme tous les autres matins, je suis venue te voir…
Il y a toujours ce champ de
vaches sur la droite lorsque je longe la haie bocagère fleurie d’aubépines, en
arrivant vers toi. C’est mon rituel quand je viens te voir le matin. J’adore
regarder sur la droite les vaches aux pattes embrumées, alors que dehors il
fait froid. Le sol est à peine réchauffé par le soleil que l’on devine se lever
au loin, celui qui teinte le ciel de ce si joli rose.
Je viens de quitter ma commune
d’habitation quelque peu banale et morose, et je vais passer la journée à tes
côtés. J’avoue que parfois, lorsque je passe le dernier virage qui m’amène à
toi, la fatigue et les yeux lourds ne me rendent pas spécialement enclin à
m’investir auprès de ceux qui t’ont choisi. Et puis il y a ces vaches, toujours
d’humeur égale qui s’en fiche bien de mes états d’âme, de mes cernes ou de mon
manque d’envie. Je me dis qu’elles ont bien raison, alors je gare ma voiture
devant la maison de ton premier habitant et je me lance auprès de ce patient
situé tout en haut de liste de ma longue tournée.
Et puis il faut dire que tu es
charmant…
Il y a cette place centrale, ni
trop grande ni trop petite. Habillée d’ardoise, de pavés et de pelouse, elle
est un poumon de verdure et de fraicheur pour qui veut bien s’attarder sur les
fauteuils en métal laissés ça et là.
Il
y a cette église en granit imposante, ni trop belle, ni trop moche squattée par
une famille nombreuse de pigeons faisant pas mal râler les habitants du bourg.
Je les imagine parfois me regarder d’en haut, me voyant passer et repasser en
voiture toute la journée. Je suis sûr qu’ils pensent que je suis toute petite.
Il y a ces bruits et ces odeurs, ni entêtants, ni embêtants. L’épicier qui laisse
des poulets rôtir devant sa boutique le dimanche, me permettant de surveiller,
à chacun de mes passages, l’avancer du doré des pommes de terre qui les
accompagne. Ça sent bon le repas de famille dominical.
Il y a ces rires et ces
« Allez, salut ! » qui émanent des deux cafés de la place, un de
« la Mairie » et un des « Sports ». Chez l’un, on peut
trouver magazines et cigarettes et chez l’autre on peut récupérer ses colis et
envoyer ses courriers à pas d’heure et même le dimanche. Mais dans les deux cas,
le vin local est servi dans des ballons et la machine à café crache ses vapeurs
dans les mini-tasses, et il y a toujours du monde. On peut parfois voir des
chevaux traverser le bourg en promenant leur cavalier, laissant la priorité à
de vieux fermiers, la bêche sur l’épaule et de retour des nombreux jardins
communaux enserrant le village.
La coiffeuse coupe les cheveux, le médecin
soigne les maux et l’infirmière panse les plaies, tout ça, dans une même rue.
Et puis, il faut avouer que tu es
beau...
Parfois, mes soins m’amènent à
parcourir tes chemins sinueux de campagnes. Je m’enfonce dans les virages,
grimpe de petites collines pour parfois arriver au point culminant me
permettant de juger de ta si jolie beauté verdoyante. J’entends au loin le
coucou qui chante, la vache qui appelle son petit et les oiseaux ragaillardis par
l’arrivée du printemps, qui chantent parfois un peu n’importe comment.
Les
haies bocagères sont blanches de fleurs et reposent sur des fossés bordés de
coucou jaunes. En parcourant la centaine de lieux-dits de tes terres, il
m’arrive de croiser la route de lapins à fesse blanche, de lièvres aux oreilles
gigantesques, de faisans magnifiques accompagnés de leurs dames, ou de
chevreuil et de cerfs majestueux me donnant l’impression d’être une infirmière privilégiée
en lieu et place de celles qui travaillent toute la journée en service sans
voir une seule fois la lumière du jour. Parfois, le « cheval du troisième
virage » passe sa tête par-dessus sa barrière pour me regarder passer, et
je ne loupe jamais l’occasion de baisser ma fenêtre pour le saluer de la main.
Il y a aussi ce chien moche derrière le portail du vieux chêne et qui s’entête
à aboyer au passage de ma voiture, à peine blasé de me voir passer tous les
jours.