- A chaque fois que je referai
mon lit, je penserai à vous ! Merci !
Cette phrase, qui aurait dû être
le slogan d’une publicité pour de la literie, provenait en fait de la bouche
plus que souriante de la femme du patient dont je m’occupais ce matin là. Alors
que je manipulais la sonde urinaire du vieux monsieur allongé à moitié nu sur
son lit défait, je regardais sa femme s’époumoner, les bras tendus en étoile, en
prise avec une housse de couette récalcitrante et le visage rougi par l’effort.
« Non mais attendez vous allez me
faire un malaise là ! Retournez moi cette housse de couette, je termine
mon soin et je vous montre ma technique, en deux-deux ce sera plié ! ».
Oui. Il faut être infirmière libérale pour retrouver dans une même scène :
une femme rougissante d’effort, une verge et une infirmière super au taquet sur
la literie et ce, sans avoir à trainer sur des sites internet qui vous
demanderaient votre date de naissance avant de cliquer. J’adore mon taf. Bref. Je
n’étais pas spécialement en avance, mais pas non plus vraiment pressée de
quitter ce couple que j’adorais. J’ai donc pris le temps de les former à ma
technique découverte alors que j’étais étudiante infirmière et faignante.
Mon boulot c’est un peu ça :
des soins et plein de petits services comblant les créneaux de speudo-pause que
je pourrais m’octroyer. Tous ces petits services chronophages, ces coups de
pouce gratuits auxquels on se pli, ou pas en fonction de notre seuil de tolérance,
de notre bienveillance ou... Du patient, soyons honnête. Car oui j’avoue,
autant il y a des gens que j’ai envie d’aider, autant il y en a d’autres, que
je prendrais plaisir à laisser galérer avec leur couette !
Il y a plusieurs catégories de
services. Il y a tout d’abord les services rendus aux animaux, ces pauvres
bêtes qui n’ont rien demandé mais que je vais aider au risque que mon karma de
Pocahontas ne me le pardonne jamais.
Ainsi dernièrement, j’ai raccompagné
ce chien fugueur que je connaissais bien. Il appartenait à l’un de mes anciens
patients que je savais absent toute la journée. Ne voulant pas prendre le
risque de le retrouvé écrasé, j’ai pris le chien avec moi dans la voiture pour ensuite
supporter l’odeur infecte de la bête à poil durant tout le reste de ma tournée,
tant il semblait avoir imprégner les tissus de ma voiture.
Un autre jour, j’ai
appelé deux fois la gendarmerie de mon patelin pour leur signaler un troupeau
de cinq bœufs en divagation sur une départementale. Repassant sur les lieux en
fin de matinée et voyant que les bêtes étaient toujours là, je les ai guidé
jusqu’à leur ferme, moyennant des manœuvres de mon véhicule digne des grands
fermiers de l’ouest américain, le chapeau texan en moins.
Une autre fois, en
sonnant à un portail de propriété, je me suis retrouvée face à un cheval. Il
appartenait à mon patient et semblait préférer regarder passer les voitures
plutôt que de rester dans son champ. Je l’ai pris par le licol et me suis présentée
à la porte d’entrée avec ma mallette de soin d’un côté et un cheval de l’autre.
Je ne manque jamais de lâcher un coton-boule au chat de celui que je viens
prélever pour 1) M’en faire un pote, 2) Qu’il me lâche la grappe, 3) Gagner des
points auprès de mon patient.
Enfin, j’appelle tellement souvent la Mairie pour
ce genre de chose que lorsque je dis à la secrétaire « C’est l’infirmière ! », elle me répond : Ah,
encore un chat d’écraser ? Et oui…
Et alors que les animaux n’ont
pas demandé à croiser mon âme-de-Pocahontas-qui-peint-en-mille-couleur-l’air-du-vent,
les humains eux, savent abuser de ma présence et du « Oh bah tant que vous êtes là ! ».
Ainsi, un jour où j’avais refusé
de descendre deux étages pour aller chercher le journal de cette vieille dame, lui
expliquant que son fils, qui passait tous les soirs, pouvait le faire, je l’ai
entendu me répondre : « Mais
mon fils n’a pas que ça à faire, il a un travail ! », je me suis
dis : plus JAMAIS. Si je continue à leur tendre la main, ils vont finir
par me bouffer le bras...
Et quelques semaines plus tard, j’aidais
une petite mamie à déboucher une bouteille de rouge en vu de son apéro d’anniversaire
qu’elle organisait avec ses deux copines de 90 ans chacune, j’ai pris l’habitude
de fermer les volets de cette autre pour ne pas qu’elle prenne le risque de
tomber en sortant, j’ai programmé le Wifi sur la tablette numérique d’une voisine
qui ne captait rien à la nouvelle technologie et j’ai coupé des brins de
romarin et de thym de mon jardin pour cette vieille dame qui devrait cuisiner
le lendemain des courgettes toutes fades à cause d’un jardinier qui, dans excès
de zèle, avait tout coupé, y compris les aromates du potager.