mercredi 20 décembre 2017

La Vie n'a pas de sens.




- …

Un long silence embarrassant s’est installé entre lui et moi. Je regardais ma pince en plastique bloquer la compresse dans ma Kocher avant de tremper le tampon dans l’eau stérile. En m'approchant pour refaire son pansement, j’ai vu mon patient regarder ses mains jointes. Il faisait rouler nerveusement la peau fine du dessus de sa main avec son pouce, comme pour enlever les tâches brunâtres qui les recouvraient. Ses mains de vieux. J’aurais voulu m’excuser, mais j’étais trop peinée et agacée pour avoir envie de le faire. Depuis quelques temps, mon vieux patient ne faisait que se plaindre. Chaque jour, à chacun de mes soins. De ses douleurs alors qu’il refusait de prendre ses traitements, du temps alors qu’il refusait de mettre un pied dehors, de ses insomnies, du bruit des voisins et de son rhume carabiné qui l’empêchait d’apprécier son verre de rouge à midi. Il était âgé et les 90 dernières années de sa vie l’avaient épargnées des problèmes de santé jusqu’au mois dernier. Une chute contre l’angle d’un meuble pile sur son foie douloureux et un passage aux urgences le ramenèrent chez lui avec le mot « Cancer » inscrit sur son dossier de soins. Le dossier était resté depuis sur la commode de l'entrée sans bouger, comme l'humeur de mon patient, imperturbable-raleur : « C’est pas juste, mon voisin d’en face il picole, il fume et lui, il n’a rien. C’est pas juste d’en arriver à mon âge pour être malade ! », voilà ce qu’il m’avait dit la veille au soir.


- Et deux rues plus loin vous avez une jeune mère de famille qui n’aura jamais la chance d’avoir quarante ans, de voir grandir ses enfants et de vivre aux côtés de celui qu’elle avait choisi pour vieillir…

S’en était suivi mon silence, le sien, ses mains jointes et les tâches brunes sur sa peau de vieux… C'était nul de lui avoir répondu ça, je m'en suis tout de suite voulu. J’aurais dû m’excuser mais je ne l'ai pas fait. J’aurais dû utiliser ma fatigue comme excuse pour expliquer mon manque de tenue qui lui aura mis dans les dents cette réalité qui fait serrer les mâchoires toute l’année aux soignants. Cette réalité qu’il y a souvent pire ailleurs, trois ou quatre maisons plus loin. J’aurais dû accuser Noël et l’année qui se termine pour m’excuser d’avoir partagé avec lui un peu de l’injustice qui rend mon travail d’infirmière souvent amer. Ce goût dégueulasse au fond de la gorge quand je pense aux familles que j'ai accompagné cette année et qui vont devoir vivre leur premier Noël sans mes patients décédés. Ils sont nombreux ceux à qui je pense. Beaucoup trop de patients à qui j’ai dû dire au revoir le cœur serré et la blouse blanche un peu froissées. J’aurai dû m’excuser ou bien me taire et lui faire comprendre que j’étais là pour l’écouter, lui et ses plaintes que je trouvais démesurée alors que de son point de vue à lui, dans sa couenne de vieux, elles ne l’étaient peut-être pas tant... 

Et puis il y a eu le coup de fil pendant ma tournée de soin. Finalement, j’aurais dû dire à mon vieux patient ce que j’ai ressenti ce matin quand son fils m’a appelé : « Ne passez pas ce soir, il est parti aux urgences cette nuit. On a pas compris. Hier il allait encore plutôt bien et puis il s’est dégradé très vite. ». Ça n'a pas de sens. Voilà ce que j'aurais dû lui dire, que la Vie parfois, elle n’a pas de sens.
J'aurais dû lui dire que la Vie devrait laisser les gens profiter d’un dernier Noël, loin des perfusions, des traitements, loin des chagrins et de la mort. Lui dire que la Vie n’a pas de sens quand on espère qu’elle ne nous enlèvera jamais ceux qu’on aime, quand elle peine à laisser partir celui à qui l’on tient tellement. Que la Vie est une garce qui n’en fait qu’à sa tête et que la mort, sa comparse, cette saleté, semble parfois se lier avec elle dans une danse qui ferait chuter n’importe quelle personne heureuse de vivre malgré les plaintes, les douleurs et la maladie.

La Vie n’a pas de sens et ce soir, je m’en veux de ne pas avoir eu le courage de m’excuser et d'avouer à mon vieux patient que moi non plus, je ne la trouve pas toujours juste.

mercredi 13 décembre 2017

Programmer les activités des vacances d'été.




... Dans la voiture, sur le chemin de l'école :

- Maman, pour les grandes vacances d'été, est ce qu'on pourrait faire un truc ?

Et là je me dis, non sans être teintée d'une certaine fierté, "Ma fille de 5 ans programme déjà les vacances d'été ! Elle va sûrement me demander si on pourrait diner le soir dehors en mangeant de la glace au dessert et en écoutant les grillons ou si on pourrait retourner dans le sud se baigner dans les gorges glacées ou tout simplement ressortir la vieille piscine 3 boudins qu'on met chaque année sur la terrasse près du hamac dans lequel j'adore bouquiner...".

Je me gare devant l'école, arrête le moteur et me retourne vers ma puce : "Oui poussin, dis moi ce que tu veux faire cet été ?" :

- J'aimerai bien qu'on lave ta voiture... Parce qu'elle est toute sale !

... Ok. Ma fille a au moins le mérite d'avoir noté le délai moyen qu'il me faut pour laver mon bureau mobile d'infirmière libérale !

Avec du retard.



Aujourd'hui, j'ai fait mon chèque à l'URSSAF pour payer mes cotisations. Je voulais mettre "A : contre coeur" comme la dernière fois mais j'ai eu peur qu'ils trouvent ça redondant et qu'ils finissent par se lasser à l'URSSAF. Et puis, j'ai vérifié une dernière fois les dates du courrier, celle de l'enveloppe et puis celle du jour également du coup j'ai préféré écrire "Avec du retard...". Je voulais ajouter "... Mais en même temps vous rédigez un courrier le lendemain de la date limite de paiement que je ne reçois que 7 jours plus tard, du coup si tu me colles une majoration je vais l'avoir hyper-mauvaise ! " mais ça rentrait pas. Du coup j'ai mis un "♡".

mardi 12 décembre 2017

Passer à la radio locale et rencontrer le Père Noël.

 
photo de @delphef sur instragram
 
... Et puis apprendre que tous les deux on fait un peu le même métier ! 🎅

Il m'a demandé si j'avais été sage cette année et je lui ai répondu "Tu rigoles, j'ai arrêté d'être sage depuis que j'ai arrêté de croire en toi... Genre depuis 3 ou 4 ans quoi !". Mais pas rancunier, il m'a demandé ce que je voulais pour Noël. Je lui ai répondu "Une Nomenclature des actes adaptée pour soigner mes patients et une augmentation pour moi !"... Le père Noël m'a juste répondu qu'il  ferait au mieux et moi je lui ai répondu que n'y croyais plus... A mon augmentation hein, pas au fait que je ne crois plus en lui (parce que j'ai quand même envie de croire dans ce bonhomme hyper sympathique) 😉

À la fin, quand on a demandé au père noël ce qu'il voulait dire aux enfants qui l'écoutaient, il a tenu à me remercier et il a rajouté que les infirmières faisaient finalement un peu le même métier que le sien : elles font briller les yeux et redonnent le sourir... Les nanas, on est des mères noël en puissance en fait ! 😁💖
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Ce soir j'étais sur Radio G et c'était bien cool et j'ai rencontré notre père noël angevin depuis 12 ans et toute l'équipe de l'émission "Tendances à me plaire" ! 👌

samedi 9 décembre 2017

Mes légendes.




- Il parait qu’ils vont lui faire descendre les Champs Élysées… A qui ? Bah, à Johnny !

Ma patiente a haussé les épaules avec un air un peu indigné devant ce qui paraissait si évident pour elle et tellement peu pour moi. Mais j’étais trop concentrée sur les bandages qui recouvraient ses jambes pour prêter une oreille attentive à l’annonce faite dans le journal de Pernaut auquel je tournais le dos. Johnny, je n’étais pas spécialement fan mais il est associé à tellement de souvenirs de ma vie que c’est difficile de nier son importance. 
Je me rappelle de mon oncle, grand fan, qui avait des faux disques d’or de Johnny dans son couloir et des vraies santiags aux pieds. Je me rappelle de mon père, heureux d’être allé à son concert dans les années 90 et dont il garde encore le souvenir aujourd’hui. Je me rappelle de ces fins de soirées alcoolisées où l’on en chantait fort et faux « Que je t’aime ! » en tirant son pote par le cou pour lui faire un bisou sur la joue. Je me suis rappelée de ces fois où j’avais les poils qui se dressaient dans un grand frisson quand j’entendais la puissance de sa voix. Johnny quoi. C’était un peu notre Tour Eiffel Musicale, on pouvait trouver ça sans intérêt mais rares sont les gens à ne pas avoir été impressionnés une fois devant… Ma patiente a changé de chaine et en posant sa télécommande tout près d’elle et a conclu par un « C’est une légende » auquel je n’ai rien répondu. Une légende fauchée par un cancer, comme quoi, personne n’est immortel.

Je n’ai rien rajouté car je savais qu’elle serait peinée de ma réponse, qu’elle ne comprendrait pas que mes légendes à moi étaient ailleurs. Que des légendes, j’en avais plein ma sacoche et que jamais elles ne descendront les Champs Elysées...

Il y a l'humouriste-légendaire. Celui qui jusqu’au bout m’aura fait sourire alors que mes yeux brillaient de lui dire « Au revoir ». Dans la chambre d’hôpital où je t’ai retrouvé, j’ai déposé une bise sur ta joue, la toute première depuis quatre années où nous nous étions serré la main chaque matin alors même que j’avais toujours enlacé ta femme et tes enfants. Une pudeur qu’on avait l’un pour l’autre et qui nous retenait de nous dire ces choses qui vrillent le cœur. Tu m’as serré pour la première fois avec le peu de force qui te restait et tu m’as dit « Tu m’excuseras, je n’ai pas eu le temps de me raser ! ». J’ai souris avec un goût salé au fond de la gorge à l’idée que tu allais terriblement me manquer. Tu as laissé une trace indélébile dans mon cœur d’infirmière et dans tous ceux qui ont eu l’immense chance de croiser ta Vie... Putain de cancer.
Il y a eu l'humilité-légendaire. Celle qui aura combattu jusqu’au bout et qui a dû en six mois de temps accepter la maladie, les traitements et l’évidence que jamais elle n’en sortirait vivante. Celle qui, à même pas cinquante ans, m’a dit ce jour où j’avais ouvert les volets de sa chambre pour déposer le soleil sur son lit « Je sais que je vais en mourir. Mais la Vie c’est aussi ça, accepter que ça se termine comme ça. ». Tu as été une très grande dame tu sais. La plupart du temps silencieuse mais qui savait trancher l’absence de mots par un charisme que peu de personnes ont… Putain de cancer. 
Il y a eu la force-légendaire. Celle qui a dû affronter l’impensable. Celui de ne jamais passer les quarante ans, celui de ne pas voir grandir ses jeunes enfants, celui de ne pas terminer sa vie auprès de celui qu’elle avait choisi pour vieillir. Et toujours ce sourire et cette douceur que tu as incarné jusqu’au bout et qui tranchait avec la brutalité de la fin de ta vie… Putain de cancer.
Il y a eu la légèreté-légendaire. Celle qui arrivait à rendre le plus terrible acceptable avec des tasses de thé chaudes après les soins qui accompagnaient cette boite de sablés au beurre sur la table de la cuisine. Celle qui était capable de parler du pire tout en prenant des nouvelles de mes filles. Toi et moi sur ce canapé où nous partagions tellement plus que des soins parfois douloureux. Avec toi, j’ai ouvert mon cœur d’amie pour la première fois à une patiente que je savais condamnée à mourir en me demandant ce que je ferai de cet amour une fois que tu ne seras plus là. Et bien tu vois, il est toujours là pour toi. Pour toi qui n’est plus là… Putain de cancer.

Je pourrais parler de tellement d’autres légendes qui ont remplis mes tournées de soins, mes journées de soignante et ma sacoche d'infirmière. Des légendes qui ont habité un tout petit village angevin, quelque part en France, loin des lumières, des strass et des belles avenues de Paris. Les gens d’ici, mes légendes à moi que personne ne connait mais que tout le monde aurait pourtant mérite à aimer. Mais peu importe les gens et les légendes, qu’elles soient du rock ou d'ailleurs car elles ont finalement le même objectif, celui de nous rappeler de nous sentir "vivant". Profitons de la Vie tant qu’elle nous tient, engueulons-la des fois, détestons-la souvent, pleurons-la si nous voulons mais essayons d’aimer la Vie pour ceux qui ne sont plus là pour aimer la leur…


A mes Légendes,
et à Johnny.

La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...