Affichage des articles dont le libellé est violence. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est violence. Afficher tous les articles

jeudi 20 février 2020

La douce Elo'





- Elle était d’une douceur, tu sais…

Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver pour réconforter cette infirmière qui venait de perdre sa collègue et qui devait pleurer derrière son écran en m’écrivant son message ? « Elle était douce Elo’ », vous avez été plusieurs à me l'écrire...

Elodie était infirmière à l’hôpital psychiatrique de Thouars et le 13 février dernier, un de ses patients l’a poignardé. Elle est décédée malgré l’intervention de ses collègues. 

La douce Elodie…

Je ne regarde plus trop les médias, mais j’ai cru comprendre qu’ils n’en avaient pas beaucoup parlé à la télévision. Un peu sur le net peut-être, mais sans plus. Il semblerait qu'on préfère parler de coronavirus et de branlette sur internet, que du meurtre d'une infirmière... Loin de moi l’idée de faire des raccourcis ou de comparer des professions qui n’ont rien en commun (si ce n’est que ce sont des métiers de la fonction publique) mais ça me peine de me dire qu’on parlerait d’avantage d’un militaire tué en mission, d’un pompier assassiné dans ses fonctions ou d’une prof poignardée en pleine classe… La violence dans les soins n’a rien de nouveau et c'est devenu tellement banale qu'il semblerait que les médias ne soient plus à un coup de couteau près. Et puis, en tombant sur une vidéo de l’Assemblée Nationale, j’ai compris.

On y voit la député Caroline Fiat réclamer une minute de silence en s’indignant qu’aucun hommage n’ait été rendu à Elodie par les représentants de l’Etat. Elle voulait prendre cette minute sur son temps de parole, mais Richard Ferrand, le Président de l’Assemblée, le lui a refusé pour le motif que le meurtre d’Elodie, n’était pas un cas « exceptionnel et solennel ». Tout est dit. Accorder une minute de silence n’aurait rien coûté à l’Assemblée Nationale, et ça aurait pu leur faire gagner un peu d'humanité. Mais il semblerait que le Gouvernement n’est même pas le budget pour un acte gratuit de bienveillance…

Alors je suis allée voir du côté d’Agnès Buzyn alors encore Ministre de la santé. Il y a bien un tweet : « j’adresse mes pensées à la famille de l’infirmière décédée, ainsi qu’à ses proches ». Décédée, ce terme m’a fait grimacer. Madame Buzyn, Elodie n’est pas morte en heurtant un coin du bureau de sa salle de soins par « accident ». Elle a été assassiné par un de ses patients dans le cadre de sa fonction. Appelons un chat un chat et ce décès, un meurtre. Et puis, c’est pas si comme depuis cet été, le service d’Elodie n’avait de cesse d’alerter leur direction pour dénoncer le manque de moyens et de la possible dangerosité de leurs conditions de travail. C'est ce que m'ont rapporté ses collègues après m'avoir dit combien "elle était douce Elo', si tu savais"... La Ministre n'en savait rien. Ses condoléances ont été rédigés quatre jours avant qu’elle ne quitte ses fonctions et l’hôpital public en pleine crise pour lui préférer la conquête de Paris. Courage, fuyions ! Elodie, elle, n’en a pas eu le temps...

Alors, devant l’absence totale de reconnaissance de nos hautes instances, nous avons décidé entre nous, entre soignantes, de t’offrir une minute de silence rien qu’à toi. C’était aujourd’hui, le jeudi 20 février à 14h30, jour de ta sépulture.

Tu t’appelais Elodie. Tu avais 30 ans et tu étais infirmière, au service de l’Etat, de tes patients et de tes collègues. Tu étais maman de deux jeunes enfants, tu étais aimée et tu as été assassinée dans l’exercice de tes fonctions de soignante. Aujourd’hui, tes proches te disaient au revoir. Et nous, même si on ne te connaissait pas Elodie, tu sais, on a beaucoup pensé à toi.

A la douce Elo'...



(suite à une attaque massive de brouteurs, arnaqueurs et autres méchants du web envahissants les commentaires sous les articles, j'ai du me contraindre à enlever la possibilité de laisser des commentaires... Et j'en suis bien désolée !)

lundi 24 décembre 2018

Mes listes de Noël pour mes patients




Chaque Noël, mes tournées de soins prennent un goût particulier. Les maisons de mes patients se chargent de décorations et éclairent mon arrivée avec des guirlandes lumineuses sur les façades. On me donne des idées de recettes pour le dîner du réveillon, on me montre la crèche mise en place par les enfants et je quitte les maisons de mes patients avec un goût de chocolat que je n’ai pas osé refuser. J’aime bien Noël, même si c’est une fête qui me rend toujours un peu nostalgique. Surtout lorsque je pars de chez eux…
Eux, ce sont ceux dont je passe la porte chaque jour et chez qui rien ne bouge. Qu’il gèle sur les toits, qu’il pleuve dans le jardin ou que le soleil tape fort sur les fenêtres. Les saisons défilent et rien ne bouge. Pas une guirlande de noël, pas une misérable boule pour donner un semblant de fête. Il y a des maisons où les habitants semblent se foutre de tout, comme une nostalgie contrainte qui se répéterait chaque année. Il y a des maisons dans laquelle la tristesse n’a pas de saison et où Noël n’a plus aucune raison.

Chez mes vieux patients chroniques, je fais des listes. Des listes de cadeau que je souhaiterai que leurs proches leur achètent pour les fêtes. Pour leur confort et pour le mien un peu aussi. Il y a ce savon que j’aimerai que ma vielle patiente reçoive enfin. Un truc tout con, un savon de Marseille afin d’amener un peu de soleil du sud dans mon soin et un peu moins de rougeurs sur sa peau que lui procure ce savon bas de gamme que son fils s’entête à lui acheter. Il y a ce vieux monsieur et sa paire de chaussons détendus et troués sur un côté. J’ai peur qu’il tombe en perdant une savate alors j’ai noté « Une paire de chaussons sécurisés » sur la liste des courses entre le lait entier et le beurre demi-sel. Il y a celle chez qui je réclame une simple paire de chaussettes supplémentaire. Tout est minimaliste chez ma vieille dame. Une paire de chaussettes, trois serviettes, deux robes, deux maillots. C’est la famille qui gère le linge. Et moins il y a de linge... Moins il y a de machine. 

Et puis il y a elle… Il y a une chose que je voudrais noter sur sa liste : « partir de chez vous ». Oui, je ne souhaite qu’une chose à ma vieille patiente. Qu’elle quitte sa maison.

Je suis accroupie devant elle. Je lui souris doucement en lui caressant l’épaule. J’essaie de ne pas lui montrer que je bouillonne, que je suis en colère. Que j’ai de la peine, et que je me sens tellement désemparée, que je suis un petit mélange de plein de sentiments dégeulasses qui ne devraient pas avoir leur place pendant ce soin plein de douceur qu’est l’aide à la toilette. Ma patiente ne lève pas les yeux vers moi, elle n’en a plus envie. La vieille dame ne cherche plus le regard, elle le refuse presque. Alors elle fixe les barreaux de son lit. Toute recroquevillée dans son fauteuil roulant, on sent depuis quelques mois la maladie l’enfermer de plus en plus dans son corps. Comme si elle se repliait, comme si elle cherchait à former une boule pour s’enfermer un peu dedans elle-même. Les soins d’hygiène deviennent compliqués. Le maintien à domicile aussi et le mari ne nous aide pas. Elle parle de moins en moins et les mots qu’elle prononce sont difficilement compréhensibles.

Elle se grabatairise. Ce terme moche et presque indécent pour qualifier le tournant d’une vie. La vie d’une personne que son corps ne porte plus, le corps d’une personne qui ne supporte plus la vie.

Elle me parle, elle essaie. Elle bafouille, elle se fatigue. Je la fais répéter parce que je sens que c’est important. Elle veut me parler de ce qui vient de se passer dans le salon. Mais je ne comprends rien à ses mots… Je lui demande de se calmer alors que c’est moi qui en ai besoin. Je m’excuse et je file dans la salle de bain pour chercher de l’eau chaude et souffler un peu devant le lavabo. Dans le miroir, je croise mes yeux et mes sourcils froncés. Je suis en colère. D’une oreille, je surveille les bruits dans la pièce d’à côté. Le mari semble s’être calmé. Ma respiration aussi… Mon reflet s'embue dans le miroir avec les vapeurs qui le recouvre d'un coup. Comment rester calme alors qu’il vient de la frapper...

- Mais c’est quoi votre problème !!

Je lui ai arraché la canne qu’il tenait dans la main. Il venait de frapper trois coups sur la tête de sa femme alors que j’attendais patiemment qu’elle repose sur la table la serviette qu’elle avait sur les genoux. Pas assez rapide, son mari l’a frappé. Devant moi. Je n’ose imaginer ce qu’il lui fait une fois la porte refermée et qu'il est seul avec elle. Ça n'avait pas été des coups au point de l’assommer. Mais le geste avait été violent. Il avait porté la main sur elle. J’ai perdu le contrôle, ça ne m’était jamais arrivé. Je me suis regardée faire sans maîtriser. Sans maîtriser ma fatigue, mes paroles, ma colère contre ce mari violent que l’on savait maltraitant sans jamais l’avoir vu. Qu’on savait insultant pour l’avoir trop souvent entendu. Je voyais ses yeux noirs me défier. Et sans me démonter je l’ai menacé. Intérieurement, je me suis dit « Vas-y, lève-toi. Ose t’approcher d’elle et de moi. Donne-moi une raison de te frapper ». Je me suis fait peur. J’ai emmené sa femme dans leur chambre et j’ai refermé la porte derrière nous…

vendredi 3 août 2018

Coup de gueule infi' #30 : Sois niée la violence.



Rien.

J’ai relancé Google. Remis les mêmes mots-clés glauques « infirmière – poignardée – Angoulême » et j'ai appuyé sur entrée. Seulement deux médias pour en parler, la Charente Libre et Sud-Ouest. Deux médias payants qui ne me permettent même pas de lire plus de dix lignes d’un article qui m’aurait peut-être permis de comprendre. De comprendre ce qu’il s’est passé, de comprendre comment ça a pu se passer. Avec mon index sur ma souris, je descends jusqu’en bas de la page de recherche Google :

6 Avril 2017 : Bas-Rhin, une infirmière poignardée à trois reprises par un patient qui l’attendait derrière sa porte. Novembre 2015 : Alès, après avoir tué sa mère il poignarde et tente de tuer son infirmière. Décembre 2015 : Verviers, l’infirmière se fait poignarder devant l’hôpital. Je continue. Mai 2016 : il s’en prend à une infirmière libérale dans la rue et la poignarde. Décembre 2004 : Pau, deux infirmières sauvagement assassinées à l’arme blanche. Et je n’ai pas tapé les mots clés « abattu » ou simplement « agressée » qui aurait faire remonter beaucoup de fais divers que nous, soignantes, avons encore en tête. 

Mardi dernier à Angoulême, une consœur infirmière libérale s’est fait agresser par un ancien patient. Poignardée à plusieurs reprises à l’abdomen, elle ne doit sa survie qu’à l’intervention d’un jeune homme en scooter qui a permis à la jeune femme de prendre la fuite pour se mettre en sécurité. Ce soir, je faisais des recherches pour voir ce qu’avait donné la comparution immédiate de son agresseur. J’étais aussi un peu curieuse de jauger l’intérêt des médias concernant les violences subies par les soignants. Et rien. Comme s’il ne s’était rien passé. Comme si c’était peu de chose finalement ou que c’était suffisamment banal pour que ça ne vaille pas la peine d’avertir l’opinion publique avec un article. Ce n’est qu’une infirmière après tout, qu’on a tenté d’assassiner en pleine rue. Parce que c’est bien de cela dont il est question. 

On a voulu tuer ton infirmière. 

L’infirmière d’Angoulême qui aurait pu mourir hier en pleine rue, c’est peut-être celle qui se déplacera chez toi pour te soigner demain. Celle que deviendra ta fille plus tard, celle qui tenait la main de ta mère il y a peu. Ou celle qui te souriait quand toi, tu n’en avais plus envie. Cette infirmière, ce pourrait être moi ou une des 660 000 autres qui prennent soin des gens habitant notre si jolie France. Les infirmières on les aime. On leur rappelle combien elles font un dur et beau métier. On concède que leurs conditions de travail sont difficiles et on leur rappelle combien elles sont utiles à l’équilibre précaire de notre santé. Mais on se détourne de ces soignantes quand elles se font insulter, violenter, agresser ou abattre parce qu’elles ont simplement voulu faire leur travail. Soigner les gens quitte à subir la violence. Dans l’indifférence. Sois niée la soignante violentée…

La violence indigne pourtant toujours les gens et les médias. Il suffit de voir à quel point une simple bagarre entre deux rappeurs dans l'espace public déclenche l’intérêt de tous un pays sur le net. Tous les médias s’y sont mis, même les plus sérieux. Des débats ont été lancé pour comprendre, décortiquer, analyser, critiquer le pourquoi du comment de cette baston. Mais pendant que deux mecs se la mettait en mode Duty-Free-Fight dans un aéroport, une infirmière libérale se faisait poignarder en pleine rue. Et personne n’en a parlé. Personne ne s’est indigné. Deux poids, deux mesures dans la violence, sa tolérance et sa reconnaissance. 

Ne banalisons pas la violence faite aux soignants.

Parlons-en.

jeudi 13 avril 2017

Coup de gueule infi' #28 : Arrêter de soigner ou se prendre une balle.




- Je suis infirmière ! J’ai besoin de ma voiture, des gens malades m’attendent…

« J’en ai rien à foutre, descends ! Sinon je te colle une balle ! », voilà ce qu’a répondu le mec qui pointait le flingue sur la tempe de l’infirmière libérale.

Rien à foutre.
Rien à foutre que tu sois soignante. 
Rien à foutre que tu crèves. 
Voilà ce que ça voulait dire.

Ce ne sont pas les dialogues d’une fiction-télé à deux balles, non. C’est ce qu’a vécu l’une de mes consœurs infirmière de Corbeilles Essonne lundi. Un pistolet sur la tempe alors qu’elle était à l’arrêt dans son véhicule et qu’elle se rendait chez l’un de ses patients. On lui a hurlé de descendre de sa voiture et d’abandonner son outil de travail et tout son matériel, au risque de mourir d’une balle dans la tête. 

On lui a donné le choix sordide de continuer de soigner ou de se faire sauter le caisson. Voilà.

Il n’y a même pas dix jours, une infirmière libérale du Bas-Rhin se rendait chez un patient pour lui donner ses traitements, elle a pris trois coups de couteau dans le thorax. Il y a deux mois, un médecin généraliste d’Eure-et-Loir mourrait dans son cabinet après avoir été agressé de quarante-huit coups de couteau par l’un de ses patients. On continue ? Il y a deux ans, tentative de viol après passage à tabac d’une infirmière libérale des Côtes d’Armor. Il y a trois ans, assassina d’une consœur libérale de Strasbourg de trois coups de fusil donné par l’un de ses patients. L’année suivante c’est unekiné libérale était abattu de six coups de feu en pleine tête. Encore ? Agressions violentes d’un médecin généraliste de l’Aude () et d’une de ses consœurs de la Vienne apparemment trop en retard. Séquestration d’une infirmière libérale de Meurthe et Moselle sous menace d’un cutter et d’alcool à bruler , violente altercation auxurgences de Tourcoing entre une quinzaine de personnes et quelques soignants, coups de couteau dans l’abdomen à une infirmière de psychiatrie de l’Oise… Meurtres, tentatives de viol, agressions violentes, crachats, injures… Je m'arrête là, mais vous imaginez que, malheureusement, il y a beaucoup d'autres cas d'agression de soignants bien souvent sous-médiatisées.

Je ne connais aucun soignant, toute profession confondu, qui n’ait pas un jour été confronté à une forme de violence quelle qu’elle soit. 

14 000 actes de violence signalés dans les hôpitaux en 2014, sans compter les violences non signalées ou subit en exercice libéral et qui ne sont pas répertoriées. En France aujourd’hui, un soignant subit un acte de violence toutes les trente minutes et dans 2% des cas il s’agit de violence avec arme. Dans 9 cas sur 10 les violences émanent de patients ou des personnes qui les accompagnent.  

C’est si dangereux que ça d’être soignant alors ? Peut-être bien… 

dimanche 6 novembre 2016

Coup de gueule infi' #23 : Tu le savais qu’on allait mal ?





- Quoi y'a encore une grève de prévue ?

J'ai reposé ma pince kocher et j'ai regardé mon patient. Il venait de lever les yeux vers son plafond et n'avait même pas remarqué qu'il m'avait blessé. Ce matin-là, j'aurais pu ne pas relever, ne pas me sentir touchée mais d'un coup j'ai repensé au mail que j'avais reçu sur mon blog et à cette infirmière qui m'avait écrit : "Ça fait du mal et ça fait du bien de te lire, parce que pour une fois je me rends compte que je ne suis pas la seule à avoir envie de me foutre en l'air". D'un coup, mon cœur qui s'était vrillé d'un petit trois fois rien a eu des relents de beaucoup trop...
Je l'ai regardé lui, qui avait les yeux figés sur son plafond, lui qui ne voyait pas plus loin que la peinture blanche au-dessus de sa tête, lui qui ne se doutait pas que nos blouses de la même couleur étaient entachées par ce même goût de sang amer que nous avions au fond de nos gorges de soignants. 

J'ai terminé mon soin dans un silence religieux à faire pâlir mes ancêtres les cornettes, puis en mettant mon blouson en cuir, je lui ai dit : "Mais vous savez que la santé est malade et que demain peut-être, vous serez condamné à devoir vous soigner tout seul ?".
Je lui ai dit combien sa réflexion ne m'étonnait pas, parce que Marisol Touraine devait elle aussi lever les yeux vers les moulures du plafond blanc de son bureau. Qu’elle devait être agacée en se disant combien il y avait plus grave à traiter en ce moment, en se disant qu’il y avait certainement des sujets de plus grande importance à tweeter comme les Pokemons qui font courir nos gamins ou le burkini qui couvre nos femmes… Sa loi santé elle, ne couvre pas les besoins en soin et fait courir les soignants mais ça, ça ne mérite pas 140 caractères.

J'aurai voulu lui dire tellement de chose à ce patient...

Mais d'un coup, je me suis sentie fatiguée de devoir me justifier de sortir dans la rue pour essayer de me faire enfin entendre du Gouvernement. Je me suis sentie lasse de devoir expliquer à celui que je soignais depuis des semaines pourquoi je ne serais peut-être plus là demain pour panser ses plaies. Je lui ai serré la main en lui souhaitant une agréable journée et je suis allée m'enfermer dans ma voiture. J’ai claqué la porte et je me suis retrouvée seule dans cet habitacle froid aux fenêtres pleines de buée :


- Bordel !!

Voilà tout ce qui est sorti de ma bouche une fois installée derrière mon volant de libérale. Génial. 
Cette grève, je savais d'avance que je ne pourrais pas y participer et d'un coup je me suis sentie complètement seule. Complètement inutile et seule. J'ai regardé mes mains qui tenaient mon volant et j'ai repensé à ces mêmes mains posées sur mon clavier d'ordinateur la veille. Ces doigts qui tentaient de répondre à cette infirmière qui m’avait vrillé le cœur. J’écrivais, puis j’effaçais, puis je réécrivais... Puis j’effaçais à nouveau. Qu'est-ce que j’aurais pu dire à cette soignante pour qu'elle ne se foute pas en l'air ? Qu'est-ce que j’aurais pu dire à ce patient pour qu'il cesse de lever les yeux en l'air ? J'aurais pu lui dire...

samedi 24 octobre 2015

Quinze minutes.





- Quinze minutes ? Quinze minutes ! T’es en train de me dire que t’es capable de faire la toilette de ce patient SLA en quinze minutes ? Tu te foutrais pas un peu de ma gueule dis ? T’es en première année, c’est ton premier stage, ça fait deux semaines que t’es dans le service et tu penses y arriver en quinze minutes ? Tu te prends pour qui espèce de p’tite incapable hein ? T’as une jolie gueule mais laisse moi te dire une chose, une toute petite chose : dans le métier avoir un joli p’tit cul ne fera jamais de toi une bonne soignante, tu t’es trompé de métier… Maintenant tu ramasses ton incompétence et tu te casses de mon chemin, j’veux plus te voir ! Moins que rien…



« Moins que rien. » 

Il m’a craché au visage ces derniers mots, et est reparti aussi vite qu’il était venu. Je n'ai pas voulu le regarder, croiser son regard. Je n'arrivais plus à détacher mes yeux du cadre accroché au mur en face de moi et qui représentait un bouquet de coquelicots.
Les larmes ont coulées, chaudes, sur mes joues rouges.

L’aide-soignant m’avait plaqué contre un mur et se tenait contre moi, tout contre moi, contre ma poitrine, contre ma blouse. Son poing fermé semblait avoir frappé le mur au plus près de mon oreille. J’avais senti son haleine, sa respiration chaude alors qu'il lâchait ses mots susurrés au plus près de moi pour ne pas avoir à hurler. Pour ne pas prendre le risque de voir les patients sortir de leur chambre. Pour ne pas risquer de voir ses collègues interrompre leurs transmissions en entendant ses cris.


Il est reparti. Je ne sais même pas où ni quand, trop concentrée sur ce cadre aux coquelicots, trop sidérée par ce qui était en train de se passer. Mes jambes ont fléchies et je suis tombée sur le cul ; dans tous les sens du terme. Je restais hébétée sans vraiment comprendre, le cerveau bloqué par ces mots qui avaient raisonnés puis percuté ma fierté, ma sensibilité, ma naïveté
Il m’avait demandé de lui répondre : « Combien de temps penses-tu prendre pour la douche de ce patient ? ». C’était mon premier stage, je me mettais une pression de malade parce que je ne voulais pas tout foirer et j’ai répondu une grosse connerie : « Quinze minutes ». 
Et alors que je me demandais pourquoi j’avais répondu bêtement ce pour quoi il m’aurait fallu au minimum le double de temps, il m’a prit par le bras et m’a tiré à l’extérieur de la salle de soin devant tous nos collègues, pour me prendre à part dans le couloir… 
S’en est suivi sa tirade, son visage tout rouge et les larmes qui coulaient à présent sur le mien… Les portes de l’ascenseur non loin se sont ouvertes, je ne voulais pas qu’on me voit pleurer assise par terre, j’avais besoin d’une cigarette. 


Je me suis relevée aussi vite que j’ai pu pour aller m’engouffrer dans la salle de soins où tous les soignants du service étaient réunis. Mes joues devaient être rouges et mon maquillage coulant au vu des visages qui se sont relevées sur moi. J’ai préféré baisser ma tête, et ma fierté d'un cran. 
L’équipe éreintée du matin passaient le relai à une équipe du soir déjà fatiguée. Je passais au milieu de tout ce petit monde en pleine transmission dont le brouhaha rappelait le bruit d’une ruche. Il était là, comme une reine au milieu de toutes ces abeilles. Ses deux mains sèches aux longs doigts enserraient un mug de café chaud. Il semblait s’amuser du planning de RTT qu’une de ses collègues lui montrait du doigt. J’étais décontenancée devant sa décontraction, à croire qu’il devait avoir l’habitude de faire pleurer les étudiantes. J’ai demandé à ma référente le droit de sortir fumer une cigarette. 

J’en ai fumé quatre. Quatre, coup sur coup. Chacune était allumée au rappel de ces mots « Moins que rien. ». 

J’étais si nulle que ça ? Est-ce que je me trompais de voie, encore une fois ? J’étais cataloguée mauvaise étudiante infirmière avant même d’avoir eu le temps de faire une tâche de Bétadine sur ma blouse blanche. C’était mon premier stage et il m’en restait encore une quinzaine à faire au moins. Et si ça se passait comme ça à chaque fois ? Si je devais me faire plaquer contre un mur et me faire pourrir de la sorte, je n’allais jamais tenir le coup. 
J’avais envie de tout arrêter. Je rêvais de rentrer chez moi pour pleurer sous ma couette avec mon chat et un pot de glace Ben&Jerry en tentant de trouver une excuse valable pour expliquer à mes parents pourquoi je ne deviendrais jamais soignante, pourquoi j'avais plaqué mes études supérieures de commerce pour rien

Et alors que je refrénais mon envie de gerber en remontant les marches qui me séparaient de ce service dans lequel je ne voulais plus mettre les pieds, je me suis rappelé cette phrase « Celui qui rate n’a jamais vraiment essayé »…


- Oh bah, a a ba ai aé ien…

vendredi 12 décembre 2014

Les soignants ont un goût de sang amer dans la bouche.

[photo de Martin Usborne]


Elles s’appellent Jeannine, Audrey, Marie ou Martine, mais elles pourraient s’appeler comme vous. Elles travaillent à Rennes, Montpellier, Nantes ou Toulouse et elles pourraient travailler près de chez vous. Elles sont infirmières.

« Elle me traîne dehors puis me tape la tête contre le mur » - Montpellier, fin octobre 2014

Ces infirmières pourraient être celles qui viennent à votre domicile pour refaire votre pansement, ou prélever votre bilan sang. Cette blouse blanche pourrait être celle qui vous accueille aux urgences, vous demandant gentiment de bien vouloir patienter, en espérant que les sourires suffiront à tirer de vous une certaine indulgence. Cette infirmière pourrait être votre femme, votre fille, votre amie, votre collègue. Celle sur qui vous pourrez compter. La collègue qui se retournera peut-être vers vous, affolée, pour vous dire : « Il m’a frappé… ». Cette infirmière finalement, ce pourrait être vous.


mercredi 12 novembre 2014

La violence se cache derrière un foulard, un regard ou une porte de maison.




- Mais que voulez vous que je fasse ?!

« Enfuyiez-vous. »

Elle tenait la poignée de la porte qui la séparait de l’extérieur. J’ai posé ma main sur son bras et je lui ai conseillé, je l’ai imploré de partir, de quitter son foyer, sa maison. Elle a levé les yeux vers moi et j’ai compris à son regard qu’elle ne le ferait pas.

Je m’occupais de son mari depuis des mois. Son diabète m’ouvrait la porte de leur maison plusieurs fois par jour. Il y a des foyers desquels il est parfois difficile de repartir tant le temps semble s’y être arrêté. Il existe des maisons où l’on prend plaisir à entrer et où l’on sait que le moment partagé sera agréable. Ce n’était pas le cas ici.


lundi 20 octobre 2014

L’apprentissage du soin se fait dans la violence.




S’il est un sentiment qui ne me quitte jamais lorsque j’entre seule dans la maison d’un nouveau patient, c’est la petite peur, peut être irrationnelle, de ne jamais réussir à en sortir. Mais cette peur, je la refoule au plus profond de moi, de crainte qu’elle ne m’empêche d’exercer convenablement mon travail d’infirmière. 
Cette crainte de l’agression, j’en ai pris conscience dès mes premiers contacts avec les patients que je soignais alors étudiante. L’accumulation de ces situations, les médias et leurs faits divers ont eu raison de moi et de mon innocence qui ne m’avait pas encore complètement quittée avant d’entrée dans le milieu du soin.

Etudiante, les services hospitaliers, les maisons de retraites et les habitations me sont apparus comme des concentrées de représentations sociales, un microcosme avec ses bons côtés et ses travers.
Étais je si naïve à l’époque que j’ai pu croire un instant que mes soins ne seraient prodigués qu’à de gentilles personnes reconnaissantes ? Rapidement j’ai compris que notre profession n’était pas toujours respectée. Les insultes, les coups, les regards noirs m’ont mis face à l’humain et à son côté le plus sombre : la violence.

Dans un premier temps, c’est la démence qui m’a ouvert les portes de cette agressivité folle.

La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...