vendredi 12 décembre 2014

Les soignants ont un goût de sang amer dans la bouche.

[photo de Martin Usborne]


Elles s’appellent Jeannine, Audrey, Marie ou Martine, mais elles pourraient s’appeler comme vous. Elles travaillent à Rennes, Montpellier, Nantes ou Toulouse et elles pourraient travailler près de chez vous. Elles sont infirmières.

« Elle me traîne dehors puis me tape la tête contre le mur » - Montpellier, fin octobre 2014

Ces infirmières pourraient être celles qui viennent à votre domicile pour refaire votre pansement, ou prélever votre bilan sang. Cette blouse blanche pourrait être celle qui vous accueille aux urgences, vous demandant gentiment de bien vouloir patienter, en espérant que les sourires suffiront à tirer de vous une certaine indulgence. Cette infirmière pourrait être votre femme, votre fille, votre amie, votre collègue. Celle sur qui vous pourrez compter. La collègue qui se retournera peut-être vers vous, affolée, pour vous dire : « Il m’a frappé… ». Cette infirmière finalement, ce pourrait être vous.





Travailler pour l'autre, soigner dans l'intimité des corps et des êtres, en pansant les maux et en calmant les peines, nous confronte à l'humain dans ce qu'il représente de plus extrême. Insultes, agressivité, perversion ne sont pas des mots étrangers pour les professionnels de santé. Nous sommes trop régulièrement exposés à la facette la plus sombre de l'homme et parfois, soigner nous fait basculer dans l'horreur.
2014 n'aura pas fait exception pour nos collègues libérales ou de service... Molestées, volées, frappées, étranglées, jetées à terre. Les agressions violentes se sont succédé tout au long de cette année.


Mais qu'en est-il des autres ? De celle qui n'auront jamais leur nom dans les journaux et qui n'intéresseront pas les médias ? De ces soignantes anonymes dont l'idée du "bien soigné" est entaché par la "mauvaise rencontre du mauvais moment"? Que ferons-nous pour celles qui gardent le silence, pour celles qui s'en voudront d'avoir cru qu'elles pourraient anticiper la bêtise, pour celle qui continuerons d'excuser l'humain devant son incommensurable cruauté ?
Enfin, que ferons nous pour elle, qui ne pourra plus jamais soigner ? Pour celle dont le temps s'est arrêté avec les deux détonations du fusil que celui qu'elle soignait avait pointé vers elle.



Elle s'appelait Mireille. Elle était infirmière libérale à Strasbourg.
Le 20 juillet 2014, son dernier soin s'est achevé au quatrième étage d'un foyer d'insertion par deux balles venues se loger dans sa poitrine.

Nous aurions pu lire dans les journaux les réactions immédiates et indignées de nos représentants de santé. Nous aurions espérer l'apaisement par de simples condoléances adressées à la famille, aux proches et collègues de Mireille. Nous aurions pu entendre les mots désolés de ceux qui nous gouvernent pour nos collègues agressées. Nous aurions pu apprécier la reconnaissance de nos hautes instances pour notre profession.

De paroles, nous n'avons eu que des silences. De reconnaissance nous n'avons eu que de l'indifférence. Combien d'agressions de soignants passeront encore sous silence ? Combien de récits de collègues violentées devront nous encore lire pour réveiller les consciences ? C'est à se demander quel degré de violence fera enfin réagir notre Ministre qui ne daigne même pas dire un mot pour montrer son soutien aux familles en deuil et aux collègues en souffrance.

Il y a des jours où l'on se demande pourquoi des politiques ont été élus si ce n'est pour ne pas écouter simplement la tristesse d'une profession pleurant la mort de leur collègue et déplorant les agressions de plus en plus courantes. Il y a des jours où l'on se dit qu'il n'est pas possible de ne pas voir sans entendre, qu'il n'est pas possible d'entendre sans parler. Qu'attendent-ils donc...


Mes sources (trop nombreuses malheureusement) :
Agression d'une infirmière d'UMD en Gironde, décembre 2013
Agression d'une infirmière libérale de Rennes,mars 2014
Agression d'une infirmière des urgences de Meaux, juin 2014
Agression d'une infirmière libérale de Toulouse, juillet 2014
Agression d'une infirmière libérale de Menton, juillet 2014
Agression d'une infirmière libérale de Maubeuge, juillet 2014
Meurtre d'une infirmière libérale de Strasbourg, juillet 2014
Agression d'une infirmière libérale du Val d'Oise, Août 2014
Agression d'une infirmière libérale de Montpellier, fin octobre 2014 
Agression d'une infirmière des urgences de Nantes, décembre 2014 

Cet article fait tristement écho à celui que j'avais rédigé en juillet dernier (" Il y a des jours où l'on se sent seule dans sa voiture... Et dans sa profession _ lettre ouverte à Marisol Touraine"), on ne peut déplorer que depuis, rien n'a bougé, elle ne s'est toujours pas exprimé...




La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...