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samedi 29 décembre 2018

C'est dans la boite (et dans le coeur aussi)



- Ah oui j'allais oublier, il faut passer chez mon voisin. Il a une bronchite et est tout perdu dans les médicaments que lui a prescrit le médecin !

Le monsieur en question est un de mes très vieux patients. J'ai reposé la tasse de thé que m'avait offert ma patiente et j'ai filé le voir pour jeter un oeil à ses traitements... Gratuitement.

Gratuit pas cher parce que je n'ai pas le droit de facturer un passage en plus de celui que je fais déjà chaque semaine pour refaire son pilulier. Saleté de bronchite et de nomenclature ! Un peu halluciné de m'entendre lui dire que j'étais là gratuitement, il m'a offert la belle grosse boite sur laquelle je lorgnais et dans laquelle je me voyais déjà mettre mes bébés phasmes fraîchement éclos... Pilulier modifié, salutations, gratouilles au chien et je suis repartie. 

Arrivée à ma voiture, j'ai voulu prendre ma grosse boite en photo. Et là j'ai entendu "Oh, Charline ! Je suis contente de te voir !".

Elle, c'est la femme de mon Patient-Chouchou décédé l'année dernière et qui a laissé un trou à l'emporte pièce dans mon coeur de soignante. C'est marrant parce que j'ai pensé à lui hier soir en retombant sur une publication qui lui était dédié "Et ce soir, je trinque". Un article dans lequel je buvais un verre de vin rouge en pensant à lui la veille de son enterrement...

Et sans que je m'y attende, elle s'est effondrée dans mes bras. Là, sans prévenir elle m'a dit combien c'était difficile en cette fin d'année de devoir en commencer une nouvelle sans lui, sans toi. Et moi de lui dire que j'avais souvent l'impression de te voir... Comme deux couillonnes à se dire combien tu nous manques.

"Il n'y a pas de hasard si tu es là..." m'a-t-elle dit en me souriant. Moi j'ai pensé au thé que j'avais bu et qui m'avais retardé, à la bronchite de mon patient, à ses traitements à trier, à sa boîte offerte et à la photo que j'avais prise et qui m'avait attardée devant ma portière ouverte...

Je ne sais pas si c'est le fruit du hasard, un croisement d'étoiles ou Toi mais moi je crois aux signes de la Vie qui donnent parfois des pincements au coeur ❤

mardi 27 février 2018

Ce soir j'avais rendez-vous avec lui (Et avec elle aussi).




Un an. Déjà. J'aurais parié que ça faisait moins ou du moins pas autant. C'est bizarre comme le temps se distend parfois. Quand on perd quelqu'un. Quelqu'un d'important.

C'était une patiente. Une pote. Une patiente-pote et elle me manque. Un an que je passe devant chez elle en lui disant "tu te souviens ?". Oui je te parle quelques fois. Ton canapé, ta boite de thé, la planche de bois sous ta carafe d'eau et ton sourire et tes yeux clairs. Tu te souviens ?

Ton visage qui s'éclairait quand je te parlais des couchers et des levers de soleil que tu adorais tant mais que tu ne pouvais plus aller voir. Je te mimais la forme des nuages du plat de ma main et je te racontais les couleurs et les nuances du ciel. Tu adorais ça. C'était notre rituel à toutes les deux une fois le soin terminé. Comme pour rester sur du beau, sur du "qui ne se termine pas", du "qui ne meurt jamais"...

Ce soir j'étais en tournée et une lumière rose orangée est venue colorer le noir de mon volant et le côté droit de ma joue. J'ai détourné mon visage et je t'ai vu. Magnifique soleil qui se couchait avec toi en son centre, lumineuse. J'étais en retard mais peu importait. La patiente suivante allait grogner mais je m'en fichais. Je me suis arrêtée sur le bas côté et j'ai pris le temps de le regarder. Du temps pour moi, égoïstement pour penser à toi...

samedi 9 décembre 2017

Mes légendes.




- Il parait qu’ils vont lui faire descendre les Champs Élysées… A qui ? Bah, à Johnny !

Ma patiente a haussé les épaules avec un air un peu indigné devant ce qui paraissait si évident pour elle et tellement peu pour moi. Mais j’étais trop concentrée sur les bandages qui recouvraient ses jambes pour prêter une oreille attentive à l’annonce faite dans le journal de Pernaut auquel je tournais le dos. Johnny, je n’étais pas spécialement fan mais il est associé à tellement de souvenirs de ma vie que c’est difficile de nier son importance. 
Je me rappelle de mon oncle, grand fan, qui avait des faux disques d’or de Johnny dans son couloir et des vraies santiags aux pieds. Je me rappelle de mon père, heureux d’être allé à son concert dans les années 90 et dont il garde encore le souvenir aujourd’hui. Je me rappelle de ces fins de soirées alcoolisées où l’on en chantait fort et faux « Que je t’aime ! » en tirant son pote par le cou pour lui faire un bisou sur la joue. Je me suis rappelée de ces fois où j’avais les poils qui se dressaient dans un grand frisson quand j’entendais la puissance de sa voix. Johnny quoi. C’était un peu notre Tour Eiffel Musicale, on pouvait trouver ça sans intérêt mais rares sont les gens à ne pas avoir été impressionnés une fois devant… Ma patiente a changé de chaine et en posant sa télécommande tout près d’elle et a conclu par un « C’est une légende » auquel je n’ai rien répondu. Une légende fauchée par un cancer, comme quoi, personne n’est immortel.

Je n’ai rien rajouté car je savais qu’elle serait peinée de ma réponse, qu’elle ne comprendrait pas que mes légendes à moi étaient ailleurs. Que des légendes, j’en avais plein ma sacoche et que jamais elles ne descendront les Champs Elysées...

Il y a l'humouriste-légendaire. Celui qui jusqu’au bout m’aura fait sourire alors que mes yeux brillaient de lui dire « Au revoir ». Dans la chambre d’hôpital où je t’ai retrouvé, j’ai déposé une bise sur ta joue, la toute première depuis quatre années où nous nous étions serré la main chaque matin alors même que j’avais toujours enlacé ta femme et tes enfants. Une pudeur qu’on avait l’un pour l’autre et qui nous retenait de nous dire ces choses qui vrillent le cœur. Tu m’as serré pour la première fois avec le peu de force qui te restait et tu m’as dit « Tu m’excuseras, je n’ai pas eu le temps de me raser ! ». J’ai souris avec un goût salé au fond de la gorge à l’idée que tu allais terriblement me manquer. Tu as laissé une trace indélébile dans mon cœur d’infirmière et dans tous ceux qui ont eu l’immense chance de croiser ta Vie... Putain de cancer.
Il y a eu l'humilité-légendaire. Celle qui aura combattu jusqu’au bout et qui a dû en six mois de temps accepter la maladie, les traitements et l’évidence que jamais elle n’en sortirait vivante. Celle qui, à même pas cinquante ans, m’a dit ce jour où j’avais ouvert les volets de sa chambre pour déposer le soleil sur son lit « Je sais que je vais en mourir. Mais la Vie c’est aussi ça, accepter que ça se termine comme ça. ». Tu as été une très grande dame tu sais. La plupart du temps silencieuse mais qui savait trancher l’absence de mots par un charisme que peu de personnes ont… Putain de cancer. 
Il y a eu la force-légendaire. Celle qui a dû affronter l’impensable. Celui de ne jamais passer les quarante ans, celui de ne pas voir grandir ses jeunes enfants, celui de ne pas terminer sa vie auprès de celui qu’elle avait choisi pour vieillir. Et toujours ce sourire et cette douceur que tu as incarné jusqu’au bout et qui tranchait avec la brutalité de la fin de ta vie… Putain de cancer.
Il y a eu la légèreté-légendaire. Celle qui arrivait à rendre le plus terrible acceptable avec des tasses de thé chaudes après les soins qui accompagnaient cette boite de sablés au beurre sur la table de la cuisine. Celle qui était capable de parler du pire tout en prenant des nouvelles de mes filles. Toi et moi sur ce canapé où nous partagions tellement plus que des soins parfois douloureux. Avec toi, j’ai ouvert mon cœur d’amie pour la première fois à une patiente que je savais condamnée à mourir en me demandant ce que je ferai de cet amour une fois que tu ne seras plus là. Et bien tu vois, il est toujours là pour toi. Pour toi qui n’est plus là… Putain de cancer.

Je pourrais parler de tellement d’autres légendes qui ont remplis mes tournées de soins, mes journées de soignante et ma sacoche d'infirmière. Des légendes qui ont habité un tout petit village angevin, quelque part en France, loin des lumières, des strass et des belles avenues de Paris. Les gens d’ici, mes légendes à moi que personne ne connait mais que tout le monde aurait pourtant mérite à aimer. Mais peu importe les gens et les légendes, qu’elles soient du rock ou d'ailleurs car elles ont finalement le même objectif, celui de nous rappeler de nous sentir "vivant". Profitons de la Vie tant qu’elle nous tient, engueulons-la des fois, détestons-la souvent, pleurons-la si nous voulons mais essayons d’aimer la Vie pour ceux qui ne sont plus là pour aimer la leur…


A mes Légendes,
et à Johnny.

mercredi 15 novembre 2017

Sans un bruit.



- …

Un peu sonnée, j’ai relevé le visage vers celui de ma patiente, mi-satisfaite, mi-vexée de voir que je ne souriais pas à l’énoncé de son dernier potin fraichement rapporté du bourg dans lequel elle était allé chercher son pain. Elle le savait pourtant depuis le temps que je la soignais que les ragots m’agaçaient plus qu’ils n’excitaient ma curiosité. C’était son truc à elle et elle me les faisait partager à chaque soin bien malgré moi. J’ai toujours détesté écouter les gens parler de la vie des autres, surtout quand la phrase commence par un « Oh, et puis vous ne savez pas la dernière ? » et qu’elle se termine par un « Rooooh » guttural et satisfait d’une bouche qui semble se nourrir du malheur de l’autre. Je lui ai seulement répondu « C’est bien triste… ». 
Trois petits mots qui se voulaient pudiques, comme pour garder un peu de toi en en partageant le moins possible avec la mangeuse de malheurs. Trois petits mots pour résumer trois années à tes côtés, c’est vrai, c’est bien triste.

Comme pour me protéger de ce qu’elle pourrait me dire de toi, je me suis enfermée dans ma bulle tout en restant à disposition de ma patiente dont je défaisais les bandages sales. Et puis, alors que j’enroulais la compresse stérile autour ma pince kocher avec un geste rapide et sûr, j’ai repensé à toi et à la toute première fois que tu m’avais vue le faire. Un « Oooh !» admiratif était sorti de ta bouche devant ce geste qui était devenu pour moi une habitude mais qui faisait toujours son petit effet la première fois. Tu avais souri en grand quand je t’avais répondu « Ah bah c’est un métier Monsieur, trois ans d’études pour apprendre ça ! ». Ton sourire, c’était un peu ta marque de fabrique. Le temps, tu t’en fichais pas mal. Qu’il fasse beau ou qu’il fasse moche tu souriais au ciel. Mes retards, t’importaient peu car tu savais que d’une manière ou d’une autre, je finirai par franchir la porte de ta maison en m’excusant platement avec ce sourire de travers comme pour m’excuser d’une connerie que j’aurais faite. Et toi, tu souriais et tu m’accueillais en serrant avec force et douceur ma main en m’appelant ta Petite Charline alors que je te dépassais d’au moins deux têtes.

vendredi 8 septembre 2017

Être mort, c’est comme être con.




- Mettez vous bien sur deux rangs s'il vous plait messieurs dames...

Et j’avance, petits pas par petits pas. Je n’aime pas quand ça n’avance pas. Surtout quand je n’ai qu’une envie, celle d’aller vite vers toi et me barrer… Je me décale légèrement de la file d’attente et je te vois au loin, tout sourire et encadré. Je fais une mou un peu ridicule, je crois que je n’ai plus envie d’y aller. Je me retourne, l’allée est blindée, je suis coincée. Je vais avoir l’air con si je rebrousse chemin « c’est qui cette nana qui refuse d’aller lui dire au revoir ?! ». Alors j’avance, petits pas par petits pas.

Les mains dans les poches, je regarde mes boots en cuir : tiens, il y a une tâche. Ça fait moyen, j’aurais pu l’essuyer… Mais c’est un truc que tu ne m’aurais jamais reproché toi, alors je m’en fiche un peu. Une fois, en m’ouvrant la porte de ta maison tu m’avais surpris en train de m’essuyer le bout de ma chaussure sale contre mon mollet genre flamand-rose-toqué-de-la-tâche et tu m’avais dit « Hey Michel (tu appelais les gens Michel avant de raconter une blague), tu crois que tu viens soigner Rothschild ? T’en fait pas va, les vraies tâches ne passent pas ma porte ! Entre, je suis au téléphone j’en ai pour deux secondes. Tu te sers un thé ? ». Je connaissais par coeur ta maison, le placard avec les sachets de thé et ton chat qui grimpait sur l’évier pour que je lui caresse la tête. Je regarde ma tâche, je pense à Rothschild que tu aurais surement appelé Michel, à ton chat, au thé noir et j’avance…

Dans ma poche je sens mon papier froissé et humide à force d’être serré dans ma main moite. Cette feuille que j’ai cherché au fond de mon sac avant de venir ici parce que j’avais besoin de l’avoir contre moi. Pour avoir un peu de toi rien qu’à moi. Les gens devant moi te saluent, la file se réduit et je continue d’avancer. J’entends le bruit des goupillons reposés dans la coupelle sur pied doré. Ce n’est tellement pas toi tout ça. Encore un pas. L’assistant funéraire nous rappelle de bien nous mettre sur deux rangs. Rien qu’un tout petit pas pour te toucher...

J’ai délaissé le goupillon qu’on m’avait tendu pour lui préférer le contact dur et froid de ta boite. J’ai enserré doucement de ma main l’angle de bois ciré et parfaitement vernis. Mes yeux se sont perdus sur le cadre posé sur ton cercueil. Un sourire ouvrait ton visage en plissant tes yeux qu’on devinait vert clair. Mon cœur s’est serré aussi fort que si l’on avait voulu le froisser comme une feuille pour en faire une boule dure et moche. Je suis sortie sans regarder ni mes chaussures ni ceux qui m’entouraient. Je voulais juste une clope et puis je me suis souvenue que j’avais arrêté de fumer.

Dehors, je me suis rapprochée d’un groupe de fumeurs pour profiter en toute impunité de leurs fumées. J’ai regardé le ciel nuageux et le clocher qui sonnait ton départ. Et d’un coup, un peu vide de tout, je me suis dit « A quoi bon ? A quoi bon tout ça si ça doit se terminer dans une boite avec le cœur froissé ? ». J’ai ressorti la feuille de ma poche, celle que tu m’avais offerte lors de notre rencontre il y a quatre ans pour le premier soin : 

lundi 4 septembre 2017

Et ce soir je trinque...





... À toi 💖.

À toi qui m'attendais sur le pas de ta porte tous les jours depuis 4 ans.
À toi qui a fait face avec courage à cette maladie qui te faisait peur.
À toi dont j'ai tenu la main il y a peu, sans te mentir, sans te dire que tout irait mieux.
À toi à qui je vais dire au revoir, pour de bon demain...

Je trinque à toi mon tout-premier-chouchou, mon patient si spécial que je ne sais plus comment qualifier, vraiment.

Et puis le cœur lourd, je trinque à la Vie que tu aimais tant. À celle qui te faisait déboucher des bouteilles de vin avec ces potes dont tu aimais t'entourer, à ce bonheur de t'avoir si souvent trouvé avant le soin dans ton garage auprès de ta bagnole de collection ou autour d'une belle table avec les tiens, les huitres, le vin blanc et cette sauce au beurre blanc que je n'ai jamais su aussi bien faire que toi. À cette vie que tu croquais avec plaisir et que tu avais tellement de peine à quitter.

Je trinque à la Vie des autres, à la vie des tiens, à la mienne aussi que je remercie chaque jour de me permettre de rencontrer des gens comme toi. Tu me manques déjà...

Je suis fière d'être ton infirmière. Même si ce soir j'ai le coeur lourd, même si ce soir je trinque... Laisse moi encore une fois parler de toi au présent, encore une fois, avant demain. Avant que je te dise au revoir, mon patient si spécial...

vendredi 18 août 2017

J'ai la trouille.




Cette poignée je la regarde et je n’ose même pas y toucher. C’est con quand on sait combien de poignées de porte mon métier d’infirmière libérale me fait toucher. Il y a les portes qui grincent, celles qu’il faut forcer un peu, celles qui nécessitent un petit coup d’épaule, celles qui s’ouvrent sans trop d’effort, et il y a la tienne. 
Le service est calme et j’entends à peine les soignantes discuter au fond du couloir. J’ai pris une grande inspiration et je me suis avancée le bras tendu pour toucher la poignée, et d’un coup la porte s’est ouverte. Celle qui sortait de ta chambre a ouvert de grands yeux quand elle m’a vu, un peu surprise peut-être de me voir ici, ta mère.


- Oh ! Vous êtes venus le voir ! 

En fait je ne venais pas vraiment te voir, je venais te dire au revoir. Ta mère est tellement belle et triste si tu savais. Elle a toujours cet air de star de cinéma, mais avec aujourd'hui ce côté Deneuve en deuil. Appuyée contre le mur tout près de moi elle me chuchote des mots terribles à entendre de la bouche d’une mère, même quand le fils aurait l'âge d'être grand-père. Mort, enfant, peine, tristesse, et puis Amour aussi et tendresse beaucoup.
Avec ta mère, je reste à discuter de longues minutes de la mort, de la tienne en fait. Elle s’inquiète et se demande comment ça va se passer. Moi je lui explique ce que j’ai vu lorsque je travaillais en soins palliatifs. Je lui explique qu’une fois le corps en souffrance apaisé, il y a comme une prise de conscience de l’inconscient, que l’âme semble dénouer les derniers nœuds d’une existence et que l’esprit semble prendre du recul, un recul sur sa vie :


- La mort, je la vois un peu comme l’ultime lâché prise d’une vie. On peut lâcher prise et sauter à l’élastique, partir à l’autre bout du monde ou tout plaquer et recommencer en mieux, mais je crois que le lâcher prise le plus difficile dans une vie reste celui de devoir quitter la sienne.

- ... Je crois que je lâcherais plus facilement prise sur ma propre vie que sur celle de mon fils…

mardi 15 août 2017

La petite mort.


Rentrer de l'hôpital et la trouver là, au sol dans mon salon, ses plumes dispersées autour d'elle... Maudire mon chat et son instinct aussi.

Ouvrir la porte de ta chambre et te trouver d'un coup si petit et fragile dans ce grand lit d'hôpital. Perdu dans ces draps qui ne sentent pas cet adoucissant qu'adore ta femme, tu sais le "fraîcheur des montagnes" dont tu t'amusais à me dire qu'il te rappelait vos vacances au ski. Et puis maudire la mort, et la vie aussi.

Tenir la fragile mésange encore tiède et souple au creux de ma main, les plumes de ses ailes prêtes à s'ouvrir, mais les yeux clos et les serres fermées.

Reposer ta main sur la couverture, me dire que c'est la dernière fois que je la sentirais aussi chaude sous ma paume et enlever de mon esprit l'image glauque de ta mort qui n'a jamais été aussi proche pourtant.

Être triste de ces Adieu et laisser exprimer mon bonheur ressenti d'avoir eu a te soigner. Ma fierté d'être ton infirmière, sans oser en parler au passé. Tes larmes que je te demande de ne pas verser en te rappelant le sourire que tu as eu en me voyant te tenir la main à ton réveil.

Tenir la presque mort sous ma paume et la bien réelle au creux de mes deux mains jointes. Deux morts fragiles qui a l'échelle de la Vie importe tellement ou tellement peu finalement...

Mon métier je l'aime et je le déteste tellement dans ces moments là, quand il me donne au fond de la gorge des goût de petites morts, des goûts de plus jamais, d'au revoir qu'on ne sait jamais conclure autrement qu'en reposant sa main sur la couverture.

mardi 1 août 2017

Quatre poires et des soucis.





- Tiens ! R’garde donc ce que j’ai bêché pour toi ce matin !


Une motte de soucis dans un sac à légume préparée pour la toute dernière fois que je venais la voir. J’étais ravie parce que je lorgnais sur le parterre de fleurs jaunes de ma vieille patiente depuis des semaines, depuis qu’elle m’avait appelé un dimanche pour me dire :


- Charline, tu pourrais passer me voir s’il te plait ? J’essaie de soigner ma jambe toute seule depuis des jours, mais je sens bien que ça ne va pas !


Une large plaie découpait son tibia tout maigre mais la vieille dame tenace n’avait pas voulu déranger le médecin pour si peu. Et puis le « si peu » s’était transformé en quelque chose de douloureux, rouge et infecté et nécessitait maintenant un passage chez le médecin et ma visite régulière à son domicile pour refaire ses pansements. Mes gants, mes pinces et mes mains pour m’occuper de cette toute petite vieille dame de 93 ans qui vivait seule au milieu de ses fleurs et qui s’en voulait presque de me déranger pour un accident qu’elle trouvait bien bête. 
La bêche c’était pourtant son truc à elle. Tous les matins après avoir bu son café, elle partait dans son jardin pour gratter ses parterres, biner son potager et puis l’autre jour, c’était sur son tibia qu’elle avait ripé : 


- Tu parles d’une histoire toi, se bêcher la jambe au lieu de bêcher la terre, qu’elle idée !

dimanche 4 juin 2017

Focus on the Good.






Décrocher mon téléphone, entendre ta voix qui tremble, rouler vite un peu trop vite, t'hospitaliser Toi, mon Patient-Chouchou-♡... Attendre que mon téléphone sonne encore pour avoir des nouvelles de ton passage au bloc, croiser les doigts et me dire que ça ne suffira peut être pas, me dire que la Vie est une belle garce...

La tournée d'hier a été une belle tournée de m*rde comme je ne les aime pas... espérons que celle d'aujourd'hui sera meilleure...

"Focus on the good" mes chatons et bon dimanche à vous, je vous embrasse

samedi 18 février 2017

... Quand tu rends visite à l'une de tes patientes à l'hôpital.




- Je peux pas trop vous dire ce qu'il en est...

L'infirmière que j'avais devant moi était pressée et regardait sa fiche de transmissions à la recherche d'info à me donner... Je venais de lui rendre visite. A elle, ma chouchou-de-patiente. La collègue à blouse blanche a tourné sa feuille de transmissions dans tous les sens pour chercher des informations sur les annotations au stylo bille qu'elle avait noté dans la marge :

- Vous en savez certainement plus que moi au final... Je ne la connais que depuis hier...

Et moi depuis plus de trois ans... Je l'ai remercié pour le temps qu'elle m'a accordé et je lui ai souhaité bon courage pour son tour du soir avant de quitter le service...

Il y a toujours dans les hôpitaux une odeur de maladie endormie, une ambiance particulière collant aux murs des longs couloirs. Je suis tellement contente d'avoir quitté ma blouse pour préférer les maisons de mes gens aux chambres numérotées de tous ces patients...
J'aurais voulu lui ramener un peu de ce qu'elle n'a plus dans cette chambre, un peu de sa maison qui sent si bon le café froid...

Et puis, j'ai pensé à ma si jolie campagne angevine, j'ai repensé à son jardin, je lui ai raconté le lever de soleil splendide de ce matin et j'ai formé avec mes mains la forme des nuages que j'avais vu dans le ciel... Ses yeux se sont éclairés, elle m'a souri et d'un coup j'ai oublié la fatigue des sept jours et mon coup de blues de me dire que je ne serais peut être plus là pour la soigner...

Je ne sais pas où s'arrête le soin...

Je ne sais pas si il se limite à ce qui est prescrit, à ce qui est dit où aux nuages dessinés du plat de la main dans l'atmosphère calfeutrée d'une chambre d'hôpital. Mais ce soir je ne me suis jamais autant senti à ma place de soignante qu'en ayant sa main dans la mienne, sans gant et sans blouse blanche...

dimanche 16 octobre 2016

La vie c’est comme une part de clafouti.





-  Vous avez bien fait de l’acheter, ce petit pull vous va très bien.


J’ai retiré l’habit que je venais d’acheter et je l’ai rangé dans le sac qui contenait le gilet bleu roi et le collier sautoir que j’avais chiné pendant les soldes d’hiver dans ce magasin de fringues pas chères. Allongée dans son lit d’hôpital, la sexagénaire fatiguée semblait avoir vingt ans de plus. Je lui ai tendu mon collier à 10 € qu’elle a examiné de ses longs doigts secs en prenant le temps de s’intéresser à ce qui semblait avoir de la valeur à mes yeux sans me montrer qu’il n’en avait aucune pour les siens. D’énormes bagues dorées ornées de pierres précieuses semblaient se perdre sur ces phalanges amaigries. Elle était riche, très riche et ma présence à ses côtés en était la triste preuve.


- Je suis fatiguée…


J’ai repris le collier qu’elle gardait contre elle dans ses mains ouvertes, trop épuisée pour me le tendre. J’ai remonté jusqu’à ses épaules ce dessus de lit en patchwork coloré qu’elle gardait toujours sur ses jambes. Ne dépassait plus de la couverture que sa toute petite tête dont le crâne quasi chauve était recouvert d’un fichu en satin rose pâle. Les traits de son visage étaient cernés par la fatigue et le cancer. Elle a légèrement tourné son visage sur le côté en me montrant sa joue creusée, ses yeux se sont fermés et elle s’est endormie. J’ai coupé le son de la radio pour taire la musique classique et j’ai éteint ce néon blanc au-dessus d’elle, désagréable lumière artificielle qui rappelait à nos yeux fatigués que nous étions dans une des chambres de ce service privé de soins palliatifs. 


Je me suis installée dans le fauteuil froid en plastique bleu en face d’elle en tenant ce livre que je n’arrivais pas à terminer. Depuis un mois, je venais trois nuits par semaine dans cette chambre pour veiller ma Dame. Je passais mes nuits d’étudiante en commerce auprès d’elle parce qu’elle avait peur de mourir seule et parce que j’avais besoin d’argent. Je faisais partie d’un réseau de veilleurs de nuit payés au black pour être là « au cas où », pour tenir la main, pour écouter, pour combler le vide de cette chambre que les angoisses nocturnes venaient remplir une fois la nuit tombée. Les infirmières du service se doutaient du pourquoi de ma présence, elles ne posaient pas de questions et semblaient presque soulagées de me savoir auprès de leur patiente inquiète. 


Le visage de la dame s’est retourné vers moi et les yeux toujours fermés elle s’est mise à râler. Les sourcils froncés elle a susurré mon nom. Je suis là, vous avez mal ? Je viens de sonner pour appeler l’infirmière. Je lui ai caressé la main que j’avais sortie de dessous sa couverture pour libérer le cathéter. L’infirmière est arrivée dans la chambre suivie de près par une étudiante. Elle a injecté un produit dans la perfusion et son visage s’est détendu. Elle s’est rendormie. Les soignantes évoluaient autour d’elle comme des chouettes silencieuses, sans un bruit et avec toute la légèreté d’une plume. Leurs gestes étaient doux et leurs voix monocordes détendaient jusqu’à l’os. 
Je venais d’être acceptée à l’écrit des concours d’entrée à l’école d’infirmière et j’allais passer les oraux d’ici quelques semaines. Mon job de veilleuse de nuit n’avait fait qu’amplifier mon choix de quitter ces études de commerce qui ne m’apportaient rien.  
  

Ma Dame toujours endormie, j’ai lâché ce livre dont je n’avais pas lu une page et je me suis levée pour me dégourdir les jambes en faisant les cent pas dans la chambre uniquement éclairée par la lumière chaude des toilettes entrouvertes. La table de chevet près du lit était recouverte de bibelots. Une photo encadrée représentait le portrait d’une belle femme à l’allure autoritaire et puissante. Les cheveux longs bruns-roux retombaient sur un magnifique tailleur rouge et elle tenait contre elle une pochette en cuir noir maintenu par un poignet orné d’un gros bracelet doré. J’avais mis des jours à comprendre que c’était elle, avant. Avant le cancer, avant la solitude de la maladie, avant cette petite mort qui avançait doucement vers elle et qui lui rappelait tous les jours un peu plus ce qu’elle avait de moins en moins. Une nuit, elle m’avait racontée toute sa vie. 

jeudi 29 septembre 2016

Travailler avec son cœur, ça fait mal aux tripes.




- Oui oui, c’est une vieille ordonnance, mais je n’étais pas spécialement pressée de faire ma prise de sang. Et puis on vient d’apprendre le décès de la maman d’une camarade de classe de ma fille, elle était malade, du coup j’ai eu un peu peur... Oui, c’est une jeune qui habite sur la commune et qui avait un cancer.

Maman. Jeune. Sur la commune. Cancer. 

D’un coup, j’ai relevé les yeux de la veine que je tâtais du bout de mon index et j’ai osé la question dont je redoutais la réponse : « Elle s’appelait comment ? ».

Un éclair glacial est parti du bas de mon dos pour rejoindre ma nuque tel un courant électrique lorsque j’ai entendu son nom. Ton nom… Un simple et petit con de mot est sorti de ma bouche alors que je regardais mes doigts travailler seuls et enfiler les tubes dans le corps de pompe. « Oh… », je n’ai dis que ça. Je ne sentais plus rien. Comme une spectatrice, je voyais mes mains retirer le garrot et comprimer la veine avec ce petit bout de coton retenu par un sparadrap. Je regardais le stylo écrire ton nom sur le tube qui ne contenait pas ton sang, puis le rayer pour y noter celui de ma patiente. J’ai terminé le soin comme un robot. Comme un robot immergé au fond d’une piscine qui le priverait des sons extérieurs et de toutes sensations intérieures.

Dans mon véhicule, j’ai dû regarder mon agenda. Incapable de me rappeler quel soin j’allais faire juste après, quel patient m’attendait alors que quinze minutes plus tôt un simple coup d’œil m’avait fait mémoriser ma matinée toute entière. Sans trop me poser de question, je me suis rendue chez la patiente suivante que je savais mal. 
Mal dans sa peau, mal dans son corps, mal dans son cœur. Je l’ai écouté avec une oreille peut-être un peu distante mais semble-t-il suffisante pour qu’elle me remercie et qu’elle s’excuse : « Je suis là pour soulager vos douleurs mais pour les écouter aussi, c’est normal. ». 
Non, ce n'est pas normal. C’est juste stupide et faux-cul parce que je n’en avais même pas envie en vrai. En vrai, je voulais lui hurler que quatre maisons plus loin une jeune femme qui avait mon âge et le sien était décédée parce que son corps, ce corps dont elle se plaignait, n’avait plus la force de retenir sa vie à elle. Sa putain de jolie vie de jeune maman, de femme heureuse, d’ingénieur et de tout ce qu’elle aurait pu être s’il n’y avait pas eu ce cancer à la con… En vrai, je lui ai dit que la vie était bien faite et qu’il fallait laisser venir les choses à soi. En vrai, à ce moment-là, je n’y croyais plus à la vie, à la belle étoile, au porte-bonheur, aux signes et à tout ce qui pourrait faire battre un cœur avec envie.

Les soins se sont enchainés mollement. Je voulais faire vite mais je n’y arrivais pas. Je devais à chaque retour dans ma voiture regarder à nouveau mon agenda pour me rappeler qui voir et pourquoi, pour me rappeler quel chemin prendre et faire demi-tour encore et toujours. 


- Ça va toi ce matin ? T’as l’air fatiguée.

Il me connaissait tellement bien ce petit père que je soignais depuis des années. Lui qui adorait m’entendre lui répondre que j’avais le temps pour qu’il m’emmène me montrer ses derniers veaux. J’aurais voulu être sincère et lui dire que ça n’allait pas et que ça faisait quatre heures que je retenais mes larmes. J’aurais voulu Lui avouer que j’avais mal aux tripes, mal à mon cœur et mal à mon envie d’aider l’autre. J'aurais voulu lui dire que ce matin je détestais ce boulot qui me faisait soigner des futurs morts, qui me faisait soulager des corps qui de toute façon finiraient par mourir même à 34 ans... Lui demander à quoi ça sert tout ça ? Lui dire que je voulais juste rentrer chez moi pour enfouir mon nez dans les cheveux de ma fille, mon visage dans le cou de mon mari et mes pieds dans mes bottes pour aller pleurer dans mon jardin. J’aurais simplement voulu lui répondre que non ça n’allait pas ce matin mais que demain ça irait mieux. 
Et puis j’ai regardé mes chaussures, ma vue s’est troublée. Je me suis simplement entendue lui répondre « Ça va, y’a du boulot et j’ai ce gros rhume qui me fait parler canard, et je suis fatiguée. Ça ira mieux demain ». Il a eu la pudeur de ne pas insister et m’a raccompagné à ma voiture en me saluant avec cette petite moue du mec qui n’est pas dupe et qui comprenait que je ne voulais pas l’inquiéter.

mercredi 28 septembre 2016

Et j’ai le cœur qui saute.





- Oui, bonjour, excusez-moi de sonner chez vous aussi tôt mais je devais intervenir ce matin chez votre amie et elle ne répond pas. Ni à la sonnette, ni sur son fix ou son portable. Les volets sont fermés… Je sais que vous avez une clé. Je ne cherche pas à vous inquiéter mais si vous pouviez me la donner, ça me permettrait de m’assurer qu’elle va bien…


Les traits de son visage se sont tirés et j’ai vu naitre derrière son sourire accueillant l'angoisse naissante d’imaginer le pire pour sa vieille amie. Il m’a sorti la clé du tiroir de son bureau parfaitement ciré. Je ne me suis pas attardée et je l’ai quitté, lui et son sourire effacé.


« ‘Me fais pas ça, me fais pas ça, s’il te plait, pas toi… ».
 

Je suis remontée dans ma voiture pour me rendre au plus vite de l’autre côté du bourg. Tombée, inconsciente, morte… Endormie. Oui « endormie », c’est bien ça « endormie ». Même si tu es une lève-tôt, dis-moi que tu dors encore. Mon ventre s’est serré… J’ai laissé passer le tracteur qui me bloquait la voie et j’ai passé la première. Sur le trajet je n’avais de cesse d’analyser la situation avec toute l’ambivalence d’une bête à deux visages. Le visage de l’infirmière qui connait l’état de santé de sa patiente. Qui sait combien elle peut être mal en ce moment, qui sait que cette porte n’est normalement jamais fermée et qui sait qu’elle n’a jamais loupé un rendez-vous depuis toutes ces années. La soignante qui sait trop bien que ce genre de situation arrive, et pas qu’aux autres et qui sait que les patients ne se réveillent parfois jamais derrière leurs volets fermés. 


En regardant dans mon rétroviseur, j’ai croisé ce regard inquiet identique au vieil homme que je venais de quitter. J’y ai vu le visage de cette amitié qui, un jour, a pris le pas sur les soins techniques. Sur ces cotons imbibés d’alcool, sur ces garrots, sur ces plaies et sur ces mots susurrés entre nous comme des confidences qui n’avaient plus rien de médicales. La frontière entre ma bienveillance purement professionnelle et cette amitié que je ressentais envers elle était devenue aussi fine que la peau de sa main sur laquelle je m’évertuais à chercher une veine…  


« J’aurais dû intervenir plus tôt… J’aurais pu le faire vingt minutes plus tôt… J’aurais dû, pourquoi je ne l’ai pas fait ? … ».


J’ai garé ma voiture tout près et un peu à l’arrache devant chez toi. J’ai anticipé le pire en prenant avec moi ma mallette de soins, mon appareil à tension, mon saturomètre et mon restant d’optimisme que je n’avais pas encore dégluti avec ma boule de stress. Sur ta porte il y avait encore mon post-it sur lequel j’avais noté « Je repasse tout à l’heure ! » avec ce point d’exclamation joyeux que tu prendrais plaisir à découvrir en m’ouvrant ta porte d’entrée. Mais aux deux coups de sonnette, tu n’as pas répondu. J’ai décollé le post-it et je l’ai mis en boule dans ma poche en espérant que je ne retomberai pas tristement dessus ce soir en me déshabillant… J’ai inséré la clé dans ta serrure, d’abord dans le mauvais sens. C’est toujours pareil et j’ai pensé à toi et au jour où tu m’avais dit : « Mais pourquoi quand on ouvre une boite de médicaments on tombe toujours sur le côté où il y a la notice, c’est casse pied ! ». C’est casse pied oui, et ce matin moi, j’ai le cœur qui saute et qui se serre devant cette porte qui vient de s'ouvrir

lundi 29 août 2016

La vérité est au fond du verre.





En ouvrant le portillon au bois écaillé, j’écartais gentiment l’imposant molosse qui me barrait l’entrée. Il ne semblait pas m’avoir oublié malgré l’année passée depuis le dernier soin fait à sa maitresse. Je caressais son museau plissé en prenant bien garde d’éviter la bave. Je n’ai jamais compris comment cette vieille patiente pouvait réussir à se faire obéir de cette masse de muscle.


- Entrez ! J’vous fais chauffer un café ou vous allez encore me dire que vous préférez un verre de jus d’orange ?


Le jus d’orange ira très bien. La toute petite vieille dame, aussi haute que large faisait des allers-retours entre le salon où je préparais mon matériel et sa cuisine dont elle ne ramenait à chaque fois qu’une seule chose, comme pour gagner du temps sur le soin, sur le temps que j’avais à lui accorder.

Un aller dans la cuisine pour chercher sa tasse de café, un retour dans le salon pour me dire que la dernière année s’était bien passée. Un aller vers le frigo pour chercher mon verre de jus d’orange, un retour près de la nappe cirée pour me dire que si je n’entendais pas parler d’elle c’est que tout allait bien. « Moins on vous voit, et mieux on se porte hein ? C’est ça que vous me dites à chaque fois non ? Des p’tits sablés ? Non ? Si ! Allez, des p’tit sablés bretons… ». Un aller vers le placard pour y chercher une boite en métal pleine de ces sablés qu’aurait adoré ma grand-mère et puis un retour vers sa chaise en osier au coussin tout mou, sans un mot mais avec ce tout petit soupir. Presque inaudible, mais qui était parvenu jusqu’à mes oreilles. Un petit souffle de trois fois rien. 


Des patients qui soufflent j’en entends toute la journée, et pas seulement les jours de grands vents. Il y a celui qui souffle parce qu’il a chaud et qui soufflera d’avoir trop froid dans quelques mois. Il y a celle qui souffle son ennui mais qui souffle encore plus quand je lui demande de quoi elle a envie. Il y a celui qui souffle de souffrir, parce que la douleur se passe parfois de mot. Et il y avait celle qui ouvrait ce matin-là sa boite de gâteaux et qui a soufflé, trois fois rien, un tout petit peu de rien.


- Et sinon, comment va votre cœur ?


« Oh lui, il fait toujours des siennes, mais le docteur m’a donné un traitement alors ça va. ». J’ai souri. Elle a rempli mon verre de cantine avec ce jus d’orange à base de concentré premier prix.


- Je ne parlais pas du cœur organique, mais de votre cœur d’âme, comment allez-vous ? La toute petite vieille dame s’est retirée au fond de sa chaise en triturant ses doigts. 

Elle paraissait encore plus petite : « J’ai perdu ma copine vous savez. Plus de cinquante ans qu’on se connaissait vous imaginez... On s’était perdu de vu avec nos maris et nos enfants. Et puis le veuvage et les gosses qui grandissent nous avaient fait déménager pour finalement nous retrouver voisines. Nos jardins n’étaient séparés que par une haie et nos chiens jouaient ensemble à travers le portail qui nous permettait d’aller chez l’une ou chez l’autre… Ça fait déjà deux mois… ».

vendredi 22 juillet 2016

La vie c'est comme une rose : des fois on s'en fout.



Et puis mon téléphone a sonné…

J’étais en pleine tournée de soins, dans les deux premières heures de ma matinée. Les plus tendues, les plus pressées, celles où les soins se succèdent à une vitesse folle. Celle où l’on comprend qu’on aurait dû faire l’impasse sur le maquillage plutôt que sur le petit-déjeuner, celle où l’on voudrait rattraper le temps qu’on a perdu à se décoller du lit.
Devant la porte de cette vieille patiente chez qui je me rendais sans trop d’envie, j’ai entendu mon téléphone sonner dans la poche arrière de mon jean. J’étais dans un des rares endroits où je captais et je savais que si je ne répondais pas maintenant, je ne pourrais pas rappeler la personne avant un bon moment. La voix que j’entendais était hésitante. Elle prenait son temps pour poser des mots que je ne comprenais pas vraiment. Il y a des gens vraiment pas doué pour parler au téléphone, et ce matin je n’avais ni la patience ni l’envie de prendre le temps d’aller à la pêche aux info’ alors je me suis impatientée : « Excusez-moi mais je vous ai mal entendu… Vous pouvez parler plus fort s'il vous plait ? ».

- Euh oui… C’est moi… Voilà… Je voulais juste t’appeler pour te prévenir que… Maman ne rentrera pas comme prévu chez elle aujourd’hui… Elle est décédée hier à l'hôpital… Voilà… Je... Je voulais te remercier tellement, toi et ton collègue pour tout ce que vous avez fait pour elle… Enfin je veux dire… C’est pas facile… Je… 

Bam. 

La claque que je venais de me prendre me plaqua direct' contre le mur qui se trouvait derrière mois. Je l’écoutais se démener avec ses mots. Avec ces mots maladroits entrecoupés de sanglots que je lui avais demandé de reformuler parce que j’étais trop pressée, trop agacée pour tendre l’oreille la première fois. Je me suis sentis tellement con. Des mots moi, je n’en avais plus… J’étais adossée contre le mur blanc de cette façade sale. Je sentais le crépi épais et dur rentrer dans ma peau à travers le léger débardeur que je portais pour cette chaude matinée d’été. 

« Elle est morte. » Je lui ai dit combien j’étais désolée. Je lui ai dit d’embrasser fort sa famille pour moi. Je lui ai dit que je pensais fort à elle et à sa Maman. A toi qui aurais dû mourir chez toi comme tu le voulais, à toi qui sera partie entourée de presque tous tes proches… Et en présence de ces soignants qui n’étaient pas moi... Je me suis sentie con une deuxième fois d’avoir pensé ça. Tu es partie reposée et entourée, c’est tout ce qui importait. Mais j’aurai tellement, vraiment, voulu te revoir une dernière fois… 

« Elle est morte… ». La rose un peu fanée qui se trouvait dans ce vilain rosier qui me faisait face s’est mise à bouger. Un bourdon en train de butiner le peu de pollen qui y restait venait d’en décoller en faisant ce bruit sourd. En repartant il a fait tomber sur les gravillons un pétale rose, très pale. Je me suis accroupie pour le ramasser. Le pétale était très joli et pourtant il provenait d’une rose fanée et d’un rosier vraiment laid qui tentait de survivre au milieu d’un jardin sec et complètement abandonné. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai voulu le garder pour moi ce joli pétale. J’y ai vu comme un signe de toi, et je ne me suis pas sentie con une troisième fois de penser ça. Pour ne pas l’abimer en le mettant dans la poche de mon jean, je l’ai glissé dans mon soutien-gorge, tout contre ma peau, côté cœur.

samedi 30 avril 2016

Deux minutes.




- … Il vient de partir. Les ambulanciers l’ont emmené, il y a seulement deux minutes…

Deux minutes. Putain, deux pauvres minutes… Deux minutes plus tôt et j’aurais pu te prendre la main, j’aurais pu te dire, je ne sais pas moi... Je ne sais pas vraiment ce que j’aurais pu te dire comme belles choses, mais j’aurais tenté de te les dire, c’est sûr, même si je n'ai jamais trop su ce qu'il fallait dire à quelqu'un partant mourir ailleurs.

Il y a eu l’appel de ta femme. 

J’ai décroché alors que j’étais en soin. Tu sais toi que je ne le fais jamais normalement, mais j’ai reconnu ton numéro sur l’écran de mon téléphone. J’ai tout de suite compris que le médecin était passé te voir, qu’il fallait que je fasse vite. Elle me disait que les ambulanciers allaient arriver… 
Mon cœur a fait ce sursaut qui me fait dire qu’un truc est en train de se jouer et qu’il fallait écouter l’instinct. Mais j’étais chez cette patiente qui n’a pas voulu entendre qu’il y avait urgence. Ce n’est pourtant pas mon genre de presser les gens que je soigne tu sais mais elle, elle n’a rien voulu entendre. 

Deux minutes. Deux minutes plus tôt et j’aurais pu m’avancer vers toi et te regarder pour la toute dernière fois. Te dire un peu gauchement « Au revoir » avec une voix qui pu l’Adieu. J’aurais été gênée, toi tu m’aurais peut-être souri et je t’aurais bordé sur ton brancard avec ce drap blanc puant le désinfectant. Mais il y a eu ce tracteur sur la route que je ne pouvais pas doubler et qui m’a obligé à ralentir alors que je roulais trop vite. Le sort s’acharne, j’ai l’impression que la vie refuse que je te dise au revoir… Deux minutes. 

Je me suis garée devant chez toi. L’ambulance avait fait de larges sillons dans les gravillons de la cour. Elle n’était plus là. Deux minutes trop tard, et tu étais parti avec elle…

Je me tenais au milieu du salon. 

Ta femme était assise devant moi sur cette chaise posée au milieu de ce grand espace vide parce que pour mieux laisser passer ton brancard, les meubles avaient été poussés contre le grand living, celui avec les photos de toute ta famille. Elle se tenait les doigts nerveusement en triturant un petit mouchoir blanc à carreaux rouges. Elle avait cette larme au coin de l’œil, tu sais celui qui pleure toujours. Mais je n’ai pas pu m’empêcher de me dire que ton départ avait dû en faire couler une deuxième. Elle était épuisée. Depuis plusieurs semaines, elle gardait l’espoir de te voir tenir le coup encore un peu, mais c’était devenu tellement difficile pour elle, surtout la nuit. Il faut dire que tu étais tellement bien chez toi, avec tous tes bibelots, ton chat et le bruit du frottement des chaussons de ta femme venant vers toi. Ça te donnait toujours le sourire. Mais depuis la veille, ce sourire tu ne l’avais plus vraiment. 

J’avais alerté le médecin parce que je voyais apparaitre sur ton visage ce masque de cire grisonnant que j’avais trop souvent vu dans le service de soins palliatifs où je travaillais avant. Presque du jour au lendemain, tu avais franchi cette étape. Cette putain d’étape dans ta maladie. Celle qui te maintient en vie mais qui d’un coup t’a fait passer dans la catégorie que j’appelle celle des « éclairés » : toujours vivants, pas encore morts, mais très au clair sur le fait que leur existence est en train de se terminer.

On parlait de plus en plus de la mort, de la tienne. Tu m’avais même demandé comment ça se passait après quand on meurt. Je t’avais répondu que je n’en savais fichtre rien, qu’il faudrait que je sois morte pour te répondre mais que du coup je ne serais plus là pour m’occuper de toi. Mourir, c’est le genre d’étape qu’on est obligé de découvrir seul. Qu’il y aurait bien une soi-disant histoire de tunnel avec une lumière au bout et quelqu’un qui t'attendrait. On avait rigolé quand je t’avais dit qu’il y aurait peut-être une nana canon qui te tendrait la main, et tu m’avais répondu : « Alors je veux qu'elle te ressemble, avec une paire d’ailes en plus ! ».

La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...