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lundi 22 juin 2015

Etre infirmière c’est comme mâcher un bonbon avec le papier.



 

Il faisait beau ce week-end là en Bretagne et le soleil tapait sur la baie vitrée de la véranda où nous nous étions toutes réunis pour le petit déjeuner. 

- Et cette main que les patients se mettent dans le caleçon, vous trouvez ça aussi dans vos services ?!

Cette question avait été lâchée sans retenue entre un « Tu peux me passer le Nutella ? » et un « ‘Faut qu’on pense à racheter des bières pour ce soir ! ». Les yeux étaient lourds et nous tentions tant bien que mal de dénouer ces corps qui avaient passés la nuit enfermés dans un duvet. Chaque année nous nous réunissions entre infirmières, entre potes de promo’, sans gosses et sans mari. C’était notre week-end à nous. Un week-end aux relents de bières, de barbecue, de musique et de discussions centrées sur nos vies… Et sur notre métier !

Autour de la table, nous avions celle qui tentait de se refaire son chignon. Celui qu’elle s’évertuait à refaire tous les matins pour aller travailler dans ce grand service de réanimation du nord et qui supportait de moins en moins ses collègues. A ses côtés se tenait une infirmière de neurochirurgie d’un hôpital public d’une grande ville de l’ouest, fatiguée par le rythme harassant que son métier lui imposait et par le sous-effectif récurrent dont souffrait son service. Celle qui reprenait un cannelé travaillait dans un service de grands brûlés du sud de la France. A deux doigts du brun-out elle avait décidé de demander une dispo’ pour partir cueillir des kiwis à l’étranger quelques mois. Elle faisait face à une infirmière d’EHPAD privé, plutôt satisfaite de son lieu d’exercice, mais qui concédait volontiers ne pas vouloir y travailler toute sa carrière et pensait déjà au libéral... 
Je me tenais au milieu de tout ce petit monde, me resservant une tranche de brioche au Nutella et me délectant des récits de ces infirmières de services qui, malgré toutes les difficultés, continuaient de soigner.

Nous avons vite expédié le sujet de « la main dans le caleçon » en concluant qu’il n’y avait qu’une explication plausible : celle du besoin de se détendre. Cette dernière s’évaluant en fonction du degré de pénétration de la main dans le dit-caleçon, et que d’une certaine manière, un patient qui décidait de coincer sa main au-delà de la première phalange devait certainement être détendu, ce qui est plutôt bon signe dans un service de soin. Oui, même les lendemains de soirée, nous étions encore capable d’élaborer des diagnostiques infirmiers de fou, la bouche et la voix encore enrouées d’une consommation excessive de cigares.

vendredi 13 mars 2015

Il y a des jours où l’on se vexe pour trois fois rien et où l’on s’en veut deux fois plus.

 

Nous étions en retard et les soignants du service allaient s’impatienter. Mais peu importe, je n’allais pas la brusquer pour autant. Ce matin il faisait froid, la nature avançait au ralenti, comme nous tous chez elle ce jour là. J’ai pris le temps de recouvrir sa tête sans cheveux de son turban en velours gris, cette couleur mal choisie qui lui donnait un teint cireux. Alors que je m’agenouillais devant son fauteuil roulant pour lui dire au revoir, pour lui dire de bien se reposer là-bas, elle a posé sa main sur la mienne et de sa bouche si fragile est sorti une des rares phrases qu’elle avait eu la force de dire ce matin là :


«  Merci... [..] »

Dix jours plus tard, mon téléphone a sonné, avec à l’autre bout du combiné son mari. Il tentait de m’annoncer avec le plus de distance possible ce que sa pudeur et son amour pour elle, rendaient au combien difficile. Son corps et son esprit avaient lâchés prise dans la nuit... Elle était décédée. C’était sans surprise finalement, on s’y attendait tous. J’avais pensé à elle chaque jour depuis son départ, me demandant à chaque fois si cette pensée morbide n’était pas un message qu’elle m’envoyait pour me dire qu’elle nous avait quittés. 

En raccrochant mon téléphone après une telle annonce, il y a toujours quelques minutes de flottement. Un moment de vie parallèle où beaucoup d’idées s’affolent mollement dans mon esprit. De la tristesse, parfois du soulagement même si l’idée est terrible à admettre, beaucoup de pensées pour elle et pour ses proches. Et rapidement, le sentiment qu’elle va nous manquer, le regard figé sur  une bougie allumée pour elle sur une étagère de mon salon…

Nous avions perdu en peu de temps trop de patients qui nous étaient chers et la liste de nos « patients-chouchous » avait pris dur, tout comme nos cœurs de soignants. Sa mort se rajoutait à la longue série noire de décès qui touchait notre commune depuis quelques temps. Il n’y avait pas un jour où, au détour de ma tournée, un patient me disait « Vous avez vu, il y a encore eu un décès ! ».
Depuis quelques jours, je surveillais le journal local pour y regarder, entre autre chose, les annonces de décès. Réflexe conservé et peut être un peu glauque de mes deux années passées aux pompes funèbres. Mon regard parcourait en diagonal les nombreux encarts de la rubrique nécrologique. Ma lecture rapide fut accrochée par le nom de ma patiente, et du pincement au cœur ressenti de la voir ainsi présente sur cette page, se rajouta un sentiment de vexation, peut être stupide mais bien réel :  



«… La famille remercie l'ensemble du personnel du centre de cancérologie pour sa gentillesse et son dévouement. ».
 
Et rien pour nous. 

samedi 7 mars 2015

Rester dans sa voiture plutôt que de soigner…





J’étais là, derrière mon volant, le moteur de ma voiture arrêté depuis plusieurs minutes. La ceinture toujours attachée, je regardais droit devant moi sans bouger. Hypnotisée, je restais bloquée à contempler un chat roux couché sur le flanc en train de se lécher le derrière. Tout était bon pour me faire perdre du temps tant je n'avais pas envie de sortir de mon bureau-mobile. 
Je voyais au loin, la voiture de ma patiente garée devant chez elle. Et même l’idée qu’elle devait m’attendre ne m’incitait pas à aller la soigner. Il m’aura fallu mon restant de motivation taillé dans un pied de biche pour réussir à me sortir de là, et franchir les quelques mètres qui me séparaient de celle qui me mettait si mal à l’aise...

La porte s’est rapidement ouverte après mon coup de sonnette. Elle m’a salué d’un simple « Bonjour » embelli d’un sourire large et sincère. La maison était aussi accueillante que ses hôtes. Le jeune couple était tout à fait charmant et leur fille de quatre ans, une enfant discrète et bien élevée. Le soin que je devais lui prodiguer était techniquement simple et rapide à réaliser : une série d’injections d’anticoagulants faisant suite à une césarienne en urgence.

La maison était calme, et bien qu’habitée, la vie y semblait comme suspendue. Sur l’évier il n’y avait pas de biberon à sécher. Sur la table du salon il n’y avait aucun bavoir prêt à réceptionner une régurgitation de lait. Il n’y avait d’ailleurs ni cosy, ni bruit, ni odeur pouvant trahir qu’un nouveau-né avait fait son entrée dans cette famille. Et pour cause...

Une pochette en velours bleu marine reposait sur la table basse. "Livre d'or" était écrit sur la couverture dans un lettrage doré qui aurait pu donné à ce livret une certaine classe si seulement il n'était pas destiné à recueillir les déclarations de décès et les mots pleins de douleurs des proches impuissants présent lors de la sépulture de cette enfant. 
La dernière semaine avait été terrible pour toute la famille. Ils avaient dû mettre en terre une petite fille que la vie ne leur avait pas permis de connaitre, une toute petite semaine seulement avant le terme. Hier, des saignements avaient rappelés à leur mémoire cet évènement tragique, les obligeant à se diriger une nouvelle fois aux urgences, la peur au ventre. Dans ce ventre vide, ce ventre mou. Des saignements qui réapparaissaient le jour présumé du terme, comme si la vie et le corps s’étaient réunis une toute dernière fois, de façon lugubre et irraisonnée :
  
-  ... Aux urgences gynéco', ils m’ont dis que ce n’était qu’un résidu de l’hématome... C'est dur d'entendre ce mot, résidu. Il ne reste que ça de ma fille. Un résidu d'hématome.

Elle était bouleversée. Le regard perdu, sans larme, elle fixait le livret bleu marine. Je ne sais pas si certains médecins s’écoutent parler, et s’ils se rendent compte de la portée de leurs mots. « Un résidu ». Voilà tout ce qu’il restait de cette grossesse, de cette mort d’enfant, de tous ces fantasmes construits pendant neuf mois, et de cette chambre rose qu’il fallait maintenant défaire et refermer. Je l’écoutais me parler avec pudeur et retenu :

- Mais la vie continue, ça devait se passer comme ça… C’est tout. C’est injuste, mais c’est comme ça, qu’est ce qu’on peut y faire…

Alors que l’ « admiration » aurait dû être l’unique sentiment inspiré par cette mère pleine de courage, j’étais partagée entre l’envie de rester là à l’écouter me parler d’elles et l’envie de la fuir. L'envie de la bousculer et de courir franchir cette porte d'entrée. Prétexter une urgence, un soin qui ne peut attendre ou une tournée trop chargée. Mais la vérité, c’est que je n’y arrivais pas. Je n'y arrivais plus. 
Mon cerveau censurait ses paroles et mon jugement était altéré par mon besoin de me protéger. De protéger ma grossesse et toutes les paillettes de bonheur qui remplissaient mon ventre depuis des mois.


mardi 13 janvier 2015

Coup de coeur infi' #1 : "Ce n'est pas toi que j'attendais", une BD de Fabien Toulmé

Le récit touchant d'un papa confronté au handicap de sa fille, découverte trisomique à la naissance. Son rejet, sa colère, la naissance de l'amour d'un père... Superbe !
(Crédit : Fabien Toulmé, "Ce n'est pas toi que j'attendais", éditions Delcourt)

lundi 20 octobre 2014

L’apprentissage du soin se fait dans la violence.




S’il est un sentiment qui ne me quitte jamais lorsque j’entre seule dans la maison d’un nouveau patient, c’est la petite peur, peut être irrationnelle, de ne jamais réussir à en sortir. Mais cette peur, je la refoule au plus profond de moi, de crainte qu’elle ne m’empêche d’exercer convenablement mon travail d’infirmière. 
Cette crainte de l’agression, j’en ai pris conscience dès mes premiers contacts avec les patients que je soignais alors étudiante. L’accumulation de ces situations, les médias et leurs faits divers ont eu raison de moi et de mon innocence qui ne m’avait pas encore complètement quittée avant d’entrée dans le milieu du soin.

Etudiante, les services hospitaliers, les maisons de retraites et les habitations me sont apparus comme des concentrées de représentations sociales, un microcosme avec ses bons côtés et ses travers.
Étais je si naïve à l’époque que j’ai pu croire un instant que mes soins ne seraient prodigués qu’à de gentilles personnes reconnaissantes ? Rapidement j’ai compris que notre profession n’était pas toujours respectée. Les insultes, les coups, les regards noirs m’ont mis face à l’humain et à son côté le plus sombre : la violence.

Dans un premier temps, c’est la démence qui m’a ouvert les portes de cette agressivité folle.

mardi 24 juin 2014

Il y a des jours qui ne devraient pas débuter et d’autres qu’on aimerait voir rapidement se terminer. (épisode 1/2)




Il y a des récits plus difficiles à écrire que d’autres. Parce que je ne sais pas par où commencer. Parce que je ne vois pas comment raconter, sans attrister, et sans choquer. Il y a des journées vraiment difficiles à raconter. 

J’étais réticente à l’idée d’écrire cette histoire, mais le besoin de mettre en avant ces gens, ces patients, toutes ces personnes qui luttent au jour le jour contre la maladie, me pousse à rendre hommage à tous ces combattants, en écrivant. J’avais aussi besoin de vider mon sac, mais pas n’importe comment…  Il m’a fallu du temps. Par où commencer, comment raconter ?


- Monsieur, c’est l’infirmière, pourriez vous vous arranger pour finir plus tôt votre travail ? Je trouve votre femme extrêmement fatiguée… Elle ne va pas bien…


lundi 14 avril 2014

Il y a des jours où l'on s’en veut d’avoir jugé trop vite.




"Au revoir Madame, à jeudi !". 
C’est avec le sourire que je refermais la porte derrière moi, alors que trente minutes plus tôt, j’attendais, frileuse et sans entrain, qu’elle s’ouvre.

- Mais si rappelez-vous ! Vous êtes venus me voir cet été alors que vous faisiez des remplacements dans le cabinet de la commune d’à côté ! Elle insistait lourdement au moment de la prise de rendez-vous par téléphone : "Bien sûr que je me rappelle de vous Madame… !". De toute évidence ma mémoire était aussi performante que celle d’un poisson rouge et ma franchise touchait le fond de son bocal.

C’est alors qu’en garant ma voiture devant chez elle, j’ai reconnu la sienne : "oh … !".

La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...