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mercredi 28 août 2019

Attendre la grosse vague.




- Je crois que j’ai plus la niaque.


Merde, sérieusement, je lui ai dit ça ? J’avais raccroché quelques minutes plus tôt mon téléphone en ne manquant pas de l’embrasser. Elle, c’était une réalisatrice. Depuis un an et demi, on discute d’un projet de documentaire très chouette sur la profession à travers mes tournées. Un film sur moi mais surtout sur mon métier, sur ce qui m’anime et me donne envie de passer les portes de mes patients pour les soigner. Une chaine semblait intéressée et on devait en rediscuter. Mais elle a le regard de la réalisatrice qui voit et surtout une oreille attentive qui décèle quand quelque chose ne va pas. Elle m’a demandé « tu veux toujours le faire ? »

Oui, non… Oui. Moi et ma putain d’indécision. Celle qui me fait douter à moitié à poil devant mon placard le matin : un gilet, oui, mais qui ferme ou pas au cas où il y a du vent ? Je vais peut-être prendre une écharpe en plus… Le genre de questionnements surfaits qui, même si l’option choisie n’est pas la bonne, ne changera rien au cours de ma vie, si ce n’est le risque d’avoir attrapé un bon rhume.

Et un documentaire, ça changera quoi à la mienne. Et à la leur ?

Oui, non… Oui. J’ai perdu la niaque, je crois qu’il faut que je me fasse une raison. Et si c’était juste la trentaine basculant gentiment vers la quarantaine qui m’enfonçait vers une certaine sagesse ? Celle qui me ferait fermer ma gueule, quand bien même ce serait justifié. Mais c’est tellement pas moi… Je crois que l’échec du FlashMobPostal m’a mis un coup dans l’aile et dans mon envie de me rebeller contre le système de soin pour soutenir la cause des soignants. Avant ça, je disais en souriant que la profession infirmière était difficile à mobiliser. Depuis le FlashMob, je le dis sur un ton grave et résigné : les infirmières n’y croient plus, elles attendent la grosse vague en espérant ne pas boire la tasse. Moi, j’ai déjà le petit goût salé et dégueulasse au fond de la gorge. Et les vagues, j’en ai toujours eu très peur. 
Je les vois comme ça les infirmières : à l’eau, au milieu de la tempête. Certaines s’accrochant à leurs collègues, d’autres à leur proche retraite, certaines à un changement professionnel qu’elles attendent avec impatience comme le matin de noël, quelques-unes s’accrochent à leurs patients, à une odeur de service, aux pauses clopes pleines d’espoir et d’autres sont seules avec leur cœur en bouée à attendre la grosse vague. Celle qui te claque la tête, te fait boire la tasse et te fait couler là où tout est si sombre que le blanc de ta blouse ne parait plus... Pendant longtemps je me suis cru sur la plage à les regarder galérer dans les rouleaux, cherchant un moyen de leur envoyer de l’aide pour les ramener sur le sable. Et puis, fatiguée en me retenant à mon cœur un peu dégonflé, j’ai fini par me retourner et comprendre que j’avais de l’eau jusqu’au cou. D’un côté je surveille la plage en cherchant de l’aide et de l’autre, j’attends la grosse vague comme les autres.

Oui, non… Oui. Ce n’est tellement pas moi tout ça. Attendre qu’on fasse quelques chose pour moi, pour mes collègues sans être sûr qu’on arrivera un jour à faire entendre raison au Gouvernement. A faire comprendre à nos patients que rien ne va plus. A faire entendre que la santé en France est malade et qu’il faut prendre soin des soignants sans trop tarder, avant de couler. Il n’y a pas une semaine où sur le blog, insta ou facebook, je ne reçois pas le mail d’une collègue en train de se noyer et qui envoie une bouteille à la mer via des mots sur un clavier. Je commence à avoir la trouille que personne ne trouve le moyen de nous ramener sur le bord à temps.

Oui, non… Oui. Mon indécision et la crainte de mon avenir dans le libéral grandit de jour en jour. Je me dis que plutôt que chercher à tout prix à regagner la plage, je devrais utiliser les vagues qui cherchent à me couler pour me donner l’impulsion nécessaire afin de retourner à terre. Les vagues finissent toujours par s’écraser sur le sable non ? J’espère seulement qu’elles ne me feront pas trop boire la tasse avant…



mardi 26 février 2019

En attendant.



Cet après midi, entre mes deux tournées de soins, j'ai passé 40 min dans cette salle d'attente. 40 min à attendre qu'on vienne me chercher pour me faire passer une écho. Mais l'attente, le coup de barre, la vessie pleine et le ventre creux depuis le matin n'étaient pas un problème, j'avais emporté un bon livre...
.
J'avais un peu peur de ce qu'on pourrait m'annoncer. Un truc moche qui expliquerait mes douleurs au ventre. Celles qui durent depuis quatre jours et qui m'ont pliées en deux à en chialer, calée contre un coussin, en PLS sur mon canapé. Obligée de me faire remplacer par mon collègue, une première en cinq ans d'installation. .
J'ai passé l'examen. On m'a d'emblée demandé si j'étais stressée en ce moment. J'ai répondu "non, mais j'ai uriné du sang...". Ah. C'était une colique néphrétique et comme un grand, mon rein s'en est débarrassé tout seul la veille. Mon rognon droit est apparemment mal formé mais il n'en est pas moins balèze ! 💪🏻
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Finalement, je vais bien. Enfin, si rien ne s'arrange il me faudra passer d'autres examens mais je n'y pense pas.
Je vais bien.

Il n'empêche, pendant les 40 minutes où j'attendais qu'on vienne me chercher, je me suis posée une question un peu con : et si c'est grave, je fais comment pour le taf ?

J'ai une tournée de bourrin à assurer ce soir et 90 jours de carence incroyable que je peux abaisser à 11 jours. 11 jours de carence "seulement" si je négocie avec mon assurance pro (qui va vraiment finir par me coûter un rein) et le chef de service parce qu'il me faut pour ça être hospitalisée deux nuits. Deux nuits sinon je n'ai le droit à aucune compensation d'arrêt d'activité. C'est pas normal de ne pas être tranquille dans une salle d'attente parce que j'ai peur de perdre de l'argent et ma santé en même temps.

Je hais ce système mal branlé. Je hais ce statut de libéral qui me stress d'avance à l'idée de tomber malade.

Mais je vais bien. Heureusement.

vendredi 22 février 2019

Les demi-teintes.



- Et ton livre, tu le sens comment ?- Bleu Roi...

Depuis toujours, je vois ma vie et celle des autres en couleurs. Les sentiments, les sons, la musique, les reliefs sous mes doigts, les gens. Au delà de ce que je vois, ressens ou entends, j'ai dans le cerveau une symphonie de couleurs qui se mélangent. C'est assez difficile à expliquer car c'est pour moi aussi instinctif que de respirer.

Mais soyons honnête. Même si c"est chouette dit comme ça, ça n'a jamais été très utile de voir la vie autrement qu'en rose. Quoique... Il y a les changements de teintes. 

Les demi-teintes.

Il y avait cette dame chez qui j'allais chaque matin pour réaliser des soins. Rien de bien extraordinaire, des injections pour prévenir un risque de phlébite après une opération sans complication. Elle auréolait un orangé depuis le début des soins. Un orangé un peu fatigué, un peu pâle sans être triste pour autant. 
Un matin, elle m'a ouvert la porte. Pas plus fatiguée que la veille, pas moins agréable, elle n'a pas eu besoin de me parler pour que je comprenne que quelque chose n'allait pas : elle avait perdu une demi teinte.

Elle avait eu sa fille habitant à l'autre bout du monde au téléphone et ça avait suffit pour la déprimer un peu. Au point de lui faire perdre une demi teinte qui la tirait maintenant sur le marron...

Moi, je n'ai pas de couleur. Quand je me regarde dans un miroir, je ne me vois pas tel que je vois les autres... C'est ni fade ni triste. Je suis juste décolorée.

Mon deuxième livre lui est bleu roi et j'en suis ravie car c'est une couleur que j'adore. J'aime l'écrire, je me sens bien entre ses lignes. Il y a peu, il a été validé par mon éditrice qui, avec ses mots émus, a apporté à mon livre cette jolie teinte de bleu. Il me reste à écrire la fin...

J'espère maintenant qu'il vous colorera le coeur... Rendez vous dans quelques mois 💙

vendredi 15 février 2019

Ça ne sert à rien.



- Je voulais vous remercier pour les soins que vous avez fait à mon mari. Deux ans de soins, mais au final... Ça n'a servi à rien...

Parce qu'il est mort. 
Voilà ce que la vieille dame n'arrivait pas à me dire. 

"Ça ne sert à rien, les soins."

Si seulement elle savait combien de fois je me suis faite cette réflexion...

Me demander ce que je foutais là à écouter une dépressive me parler de sa vie qui va mal tout en sachant qu'elle n'ira pas mieux demain. Regarder ce mec toxicomane me dire qu'il n'a pas replongé alors qu'il suffisait que je plonge mes yeux dans les siens pour comprendre qu'il mentait comme un gosse face à sa mère. Toucher de mes mains un corps dont la vie s'échappe et me demander si j'ai encore le droit de dire que mes soins "soignent" alors qu'elle est en train de mourir...

La vieille dame a glissé devant moi le dossier dans lequel je cochais chacun de mes soins depuis deux ans. Un post-it avait été collé dessus par un de ses enfants pour ne pas que l'hôpital nous l'égard... Machinalement, je l'ai feuilleté. Beaucoup de surveillances et de soins cochés. Devant le sourire pudique et l'air triste de la vieille dame je lui ai dit :

- Il est resté chez vous, il a pu vous accompagner dans votre maison de vacances une dernière fois, il a pu aller au café chaque matin et rire avec les copains, il s'est réveillé dans vos bras, vous a pris la tête, vous a cassé les pieds... Et vous a brisé le coeur parce qu'il est mort. Alors non, tout ça, ça n'est pas rien...

Je suis une soignante qui ne soigne pas toujours et je me demande souvent à quoi ça sert tout ça. Mais j'essaye de faire comme ci pour ne pas que ça serve à rien.

mercredi 16 janvier 2019

On a bien le temps de regarder le temps.




J'étais pressée ce matin, un peu speed. Du retard à cause d'une veine impiquable ou de moi qui ne sais plus piquer, je ne sais pas...

Et puis, je suis allée dans cette ferme. Je l'aime bien cet endroit. Les vaches sont restées au chaud dans l'étable,des vapeurs éphémères sortent de leurs naseaux et j'entends le cliquetis des barrières contre lesquelles elles se frottent à mon approche. Ça sent le foin, la vache et le froid sec.

Zéro degré. Qu'il est beau le soleil ce matin...

Chez elle, ça sent le lait chaud. Ma vielle patiente en a fait chauffer une casserole pleine pour son petit déjeuner. Direct des voisines productrices à la consommatrice de l'autre côté du mur. Je suis en retard mais elle s'en fiche pas mal la dame : "J'ai bien le temps de le voir passer va !". Elle est un peu poète... Elle a la peau fine ma vieille patiente, elle est tannée par les années à la ferme et tout en elle sent le lait chaud. Des murs de sa maison, à l'odeur de sa peau...

On parle de sa santé, de son chien de ferme qui est mort, de son chat qui se sent seul, du lever de soleil et de broutilles qu'on arrive à caler entre quatre tubes à remplir de sang et un coton boule scotché au pli du coude.

Je la quitte et je salue le chat cradeau installé au soleil sur mon capot. Avant de monter dans ma voiture, je m'arrête et je prends une photo. C'est tellement beau ici.

Je vais deux fois par an chez elle, une fois l'été, une fois l'hiver et je suis à chaque fois pressée d'y retourner. Pour sentir à nouveau les odeurs de la ferme et du lait, pour prendre en photo le soleil et les champs. Et pour l'entendre me dire qu'il faut prendre le temps de le regarder passer. Elle a tellement raison ma poète qui sent le lait...

jeudi 3 janvier 2019

Les voeux de mon comptable.




Quand l'humour soignant déteint sur celui qui gère mes comptes de libérale 😄

Je crois que je préfère les cartes de voeux de mon comptable à ses relances pour me rappeler que je ne lui ai toujours pas envoyé ma compatibilité de fin d'année 😉

Faire sa comptabilité de fin d'année, c'est vraiment la plaie ! 

lundi 31 décembre 2018

H.A.D. Le petit cadeau de fin d'année.



- ... Et pendant que je vous ai au téléphone je voulais vous dire que...

C'est le genre de phrase que l'infirmière coordonatrice de l'HAD aurait pu terminer par :
♡ : Je voulais vous remercier pour vos soins auprès de ce patient lourdement handicapé
♡ : Vous êtes apprécié de ce patient donc on a décidé de vous contractualiser plus souvent!
♡ : Nous avons augmenté vos rémunérations pour fêter la nouvelle année...

Mais l'infirmière m'a dit "dès demain, au 1er janvier, nous appliquons une nouvelle convention qui nous obligera à décoter vos soins comme vous le faites déjà avec la sécu..." (tu sais le fameux "1er soin payé entièrement, le 2ème à moitié prix et les suivants étant gratuits" que m'impose la nomenclature de la sécu. Joie)

Hein ?!

Pour rappel, l'HAD (Hospitalisation  À Domicile) contractualise les infirmières libérales et les paye selon notre nomenclature (en général) mais à taux plein. "3 soins réalisés, 3 soins rémunérés, You-pi".

Et puis là, d'un coup, on me parle d'une nouvelle convention, on me dit que c'est pour "harmoniser les pratiques", que c'est décidé par la direction de l'HAD et que l'infirmière coordonnatrice n'a plus qu'à l'appliquer...

... Et moi à fermer ma gueule et à perdre les trois quart de mes revenus chez eux. Le patient en question est handicapé lourdement. Sondes (oui,  avec un "s"), préparations et administrations de traitements, évacuations des selles (oui, avec un "s"), pansement, soutien moral au patient et à sa famille +++. 4 à 5 soins chaque matin, 2 soins chaque midi, 2 à 3 soins chaque soir. 1h30 de soins par jour qui, à partir de demain, me seront payés au rabais comme si je n'en faisais qu'un et demi... Et bonne année 😠.

Ils veulent harmoniser les soins mais pas les revenus. A partir de demain, l'HAD baisse les paiement de mes soins mais eux continueront de toucher le même forfait de 200€ par jour pour mon patient. On harmonise les soins mais pas les coups. Je suis dégoutée et en colère...

samedi 29 décembre 2018

C'est dans la boite (et dans le coeur aussi)



- Ah oui j'allais oublier, il faut passer chez mon voisin. Il a une bronchite et est tout perdu dans les médicaments que lui a prescrit le médecin !

Le monsieur en question est un de mes très vieux patients. J'ai reposé la tasse de thé que m'avait offert ma patiente et j'ai filé le voir pour jeter un oeil à ses traitements... Gratuitement.

Gratuit pas cher parce que je n'ai pas le droit de facturer un passage en plus de celui que je fais déjà chaque semaine pour refaire son pilulier. Saleté de bronchite et de nomenclature ! Un peu halluciné de m'entendre lui dire que j'étais là gratuitement, il m'a offert la belle grosse boite sur laquelle je lorgnais et dans laquelle je me voyais déjà mettre mes bébés phasmes fraîchement éclos... Pilulier modifié, salutations, gratouilles au chien et je suis repartie. 

Arrivée à ma voiture, j'ai voulu prendre ma grosse boite en photo. Et là j'ai entendu "Oh, Charline ! Je suis contente de te voir !".

Elle, c'est la femme de mon Patient-Chouchou décédé l'année dernière et qui a laissé un trou à l'emporte pièce dans mon coeur de soignante. C'est marrant parce que j'ai pensé à lui hier soir en retombant sur une publication qui lui était dédié "Et ce soir, je trinque". Un article dans lequel je buvais un verre de vin rouge en pensant à lui la veille de son enterrement...

Et sans que je m'y attende, elle s'est effondrée dans mes bras. Là, sans prévenir elle m'a dit combien c'était difficile en cette fin d'année de devoir en commencer une nouvelle sans lui, sans toi. Et moi de lui dire que j'avais souvent l'impression de te voir... Comme deux couillonnes à se dire combien tu nous manques.

"Il n'y a pas de hasard si tu es là..." m'a-t-elle dit en me souriant. Moi j'ai pensé au thé que j'avais bu et qui m'avais retardé, à la bronchite de mon patient, à ses traitements à trier, à sa boîte offerte et à la photo que j'avais prise et qui m'avait attardée devant ma portière ouverte...

Je ne sais pas si c'est le fruit du hasard, un croisement d'étoiles ou Toi mais moi je crois aux signes de la Vie qui donnent parfois des pincements au coeur ❤

mercredi 28 novembre 2018

Le FlashMob Postal c'est qui, c'est quoi ?






Merci à l'illustrateur L'Homme Etoilé pour ces magnifiques dessins et rendez vous ici sur le blog pour avoir toutes les informations concernant le FlashMob Postal (courriers à envoyer, chiffres, visuels...)

samedi 20 octobre 2018

FlashMob Postal #2 : #InfirmieresEnMarche





Monsieur le Président de la République,

Je m’appelle Charline et je suis infirmière libérale dans le département du Maine et Loire. Si je vous écris aujourd’hui, c’est parce que j’ai le sentiment de ne pas être entendu. Alors un peu naïvement, je me suis dit que si vous n’étiez pas en mesure de m’écouter, vous alliez peut-être me lire. Le métier d’infirmièr·e va mal. Mais ça, vous le savez malheureusement déjà car nous manifestons de temps en temps notre colère dans la rue, dans nos services, dans nos écoles ou aux volants de nos voitures de libéraux·ales. Je dis « Malheureusement » car je ne comprends pas pourquoi un Gouvernement s’acharnerait à ne pas écouter ses infirmier·e·s épuisé·e·s. Monsieur Macron, vos soignant·e·s aimeraient, pour une fois, être réellement considéré·e·s.

Nous avons le sentiment de perdre ce qui fait le cœur de notre métier : l’humanité. La surcharge de travail et le personnel insuffisant entrainent un épuisement, une frustration et un mal-être des soignant·e·s diplômé·e·s ou en cours d’apprentissage. Nous enchainons les soins, pansons sans écouter, soignons sans prendre le temps avec nos patient·e·s ou nos étudiants et nous partageons ce triste sentiment que l’essence même de notre métier est devenue une perte de temps. Nous sommes tiraillé·e·s entre nos convictions d’humain·e·s, nos valeurs de soignant·e·s et la charge de travail qui doit être réalisé dans un temps imparti évidemment trop court. Le « Têtes-Mains-Cul » est devenu la norme en maison de retraite, nous n’avons plus le temps d’être là pour l’autre et j’ai moi-même parfois le sentiment de ne plus être à ma place et de déshumaniser mes soins.

Vous vous targuez d’avoir mis les comptes de la sécurité sociale à l’équilibre, mais à quel prix ? Le manque de personnel oblige les infirmier·e·s à revenir sur nos repos. Les étudiant·e·s sont parfois vu·e·s comme de la main d’œuvre bon marché pour compenser les trous dans les plannings ou les arrêts non remplacés. La charge de travail donne l’impression de nager à contre-courant. On essaie de soigner au mieux et on s’épuise en essayant d’éviter le pire. Nous avons besoin de collègues en plus et d’une revalorisation du ratio soignant-soigné pour nous permettre d’accueillir au mieux une population qui a évolué (vieillissante, polypathologique, parfois précaire…) et qui est malade tous les jours de la semaine y compris le week-end où nous travaillons à flux tendu. Les alternances jour-nuit nous déphasent, la cadence nous fatigue, nos corps s’épuisent de porter et de supporter l’humain. Nous souhaiterions une juste reconnaissance de la pénibilité de notre travail. Parce que les cadres deviennent des manageurs et les chefs d’établissements des gestionnaires, les patients sont vus comme des clients et les soignant·e·s comme de simples exécutant·e·s du soin rentable. Merci la T2A. Oui, les infirmier·e·s soignent en nageant à contre-courant et certain·e·s ont du mal à demeurer à la surface. Epuisement (avec des départs de l’hôpital en moyenne 5 ans après le diplôme), Burn-out, suicides… C’est une réalité, les infirmier·e·s meurent parfois d’être si peu considéré·e·s.
Les 90 000 étudiant·e·s infirmier·e·s de France ne font malheureusement pas exception et ils subissent de plein fouet les mauvaises conditions de travail de leurs encadrant·e·s. Selon une étude de la FNESI, 40 % d’entre eux consommeraient des psychotropes et un tiers serait sujet à des crises d’angoisse. Un·e étudiant·e sur deux déclare avoir vu sa santé physique et psychologique se dégrader au cours de sa formation. Comment apprendre à prendre soin, si on ne prend pas soin de ceux qui apprennent ? Pour soigner, il faut que nous, infirmier·e·s, soyons en bonne santé physique et psychologique. Pour bien enseigner, il faut que nous, encadrant·e·s, soyons en capacité d’apprendre à nos étudiant·e·s à panser avec le cœur plutôt qu’à penser avec rancœur. Nous voudrions une nouvelle formation des Directions d’établissements ainsi que des cadres de santé à la prise en charge des risques psychosociaux, des techniques de management qui favorisent le bien-être au travail pour s’attaquer efficacement au burn-out des soignant·e·s. Une meilleure écoute des problèmes physiques avec de vraies propositions de reclassement et une reconnaissance des congés pour longue maladie.

Nous avons été très étonné·e·s de ne pas avoir trouvé notre place dans votre plan « Ma santé 2022 ». Nous sommes pourtant 680 000 infirmier·e·s en France, soit la moitié des soignant·e·s. Nous nous efforçons de faire évoluer notre profession en mettant en avant son expertise, ses valeurs et son intérêt certain dans la prévention des risques, l’éducation à la population, le maintien des personnes âgées à leur domicile et le développement de l’ambulatoire. Nous sommes présent·e·s partout où il est nécessaire d’être soigné et nous sommes nécessaires au bon fonctionnement du système de santé. Mais vous n’avez pas parlé de nous. C’est à se demander si vous n’ignorez pas tout de notre métier, y compris le montant de nos rémunérations. Notre salaire est en dessous de la moyenne de celui des infirmier·e·s de la communauté européenne. Nous exerçons pourtant le même métier avec les mêmes risques et les mêmes responsabilités. Nos étudiant·e·s sont peu rémunéré·e·s au risque de les plonger dans de réelles difficultés financières. 28€ par semaine en première année et 50€ en fin de formation sans aucune compensation financière lorsqu’ils.elles travaillent de nuit ou le week-end. La précarité subie par certains étudiants les oblige parfois à arrêter leur formation.
Le libéral est parfois vu par les infirmier·e·s de structure comme une échappatoire à la dureté du travail en service et comme un moyen d’être mieux rémunéré. Mais les charges, les contrôles parfois injustifiés de la sécurité sociale et la nomenclature incohérente et obsolète (les obligeant souvent à travailler gratuitement) épuisent, dégoutent et mettent en colère beaucoup d’entre nous. Saviez-vous qu’une heure de nursing rapporte moins que le SMIC à une infirmier·e libéral·e ? Saviez-vous que ces mêmes infirmières sont parfois obligées de souscrire un emprunt pour se payer un congé maternité parce que la compensation d’arrêt d’activité ne leur permet pas de payer leurs charges ? Saviez-vous que les libéraux·ales partiront après une trentaine d’années de cotisation avec une retraite de 700€ brut en moyenne ?  Si vous ne le saviez pas, une lettre écrite par des infirmier·e·s libéraux·ales vous a également été envoyée pour tout vous expliquer. Nous souhaitons une juste reconnaissance des contraintes et de l’importance de notre présence dans le schéma national de sécurité sanitaire au même titre que les forces de l’ordre. La reconnaissance de tous les nouveaux soins non énumérés et non codifiés et une réévaluation de la nomenclature de la sécurité sociale régissant la facturation des libéraux·ales et ne permettant pas actuellement une prise en charge cohérente des soins à domicile.

La profession est partout mise à mal et l’on compte souvent sur la conscience des professionnel·le·s et des étudiant·e·s en soin pour tenir le service minimum. Mais jusqu’à quand ? Monsieur le Président, l’économie ne devrait pas être priorisée au détriment de l’humain. La richesse de la santé ne se trouve pas dans la rentabilité. Nous attendons du Gouvernement qu’il accepte enfin une discussion raisonnée avec nous, acteurs de terrain et syndicats pour nous expliquer sans mépris les contraintes qui sont les siennes et en écoutant les nécessités qui sont les nôtres. Il n’y a pas de petites revendications lorsque l’on est un demi-million à les clamer, il n’y a pas de petite considération quand c’est tout un Gouvernement qui décide enfin de nous écouter. Je me joins donc au mouvement de mes collègues infirmier·e·s et c’est avec une certaine consternation que je vous enverrai cette lettre aussi souvent que cela sera nécessaire pour réveiller les consciences.

Je vous prie de croire, Monsieur le Président, en l’expression de ma respectueuse considération.

Charline,
#InfirmièresEnMarche


Ce message est un courrier type que vous retrouvez au format Jpeg, ci-dessous. Cette lettre écrite pour dénoncer les conditions de travail des infirmières est destinée au Président Macron. Elle est envoyée en masse tous les 15 jours depuis le 8 octobre 2018. Tout est expliqué sur le blog : ici !


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page 2



La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...