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lundi 24 décembre 2018

Mes listes de Noël pour mes patients




Chaque Noël, mes tournées de soins prennent un goût particulier. Les maisons de mes patients se chargent de décorations et éclairent mon arrivée avec des guirlandes lumineuses sur les façades. On me donne des idées de recettes pour le dîner du réveillon, on me montre la crèche mise en place par les enfants et je quitte les maisons de mes patients avec un goût de chocolat que je n’ai pas osé refuser. J’aime bien Noël, même si c’est une fête qui me rend toujours un peu nostalgique. Surtout lorsque je pars de chez eux…
Eux, ce sont ceux dont je passe la porte chaque jour et chez qui rien ne bouge. Qu’il gèle sur les toits, qu’il pleuve dans le jardin ou que le soleil tape fort sur les fenêtres. Les saisons défilent et rien ne bouge. Pas une guirlande de noël, pas une misérable boule pour donner un semblant de fête. Il y a des maisons où les habitants semblent se foutre de tout, comme une nostalgie contrainte qui se répéterait chaque année. Il y a des maisons dans laquelle la tristesse n’a pas de saison et où Noël n’a plus aucune raison.

Chez mes vieux patients chroniques, je fais des listes. Des listes de cadeau que je souhaiterai que leurs proches leur achètent pour les fêtes. Pour leur confort et pour le mien un peu aussi. Il y a ce savon que j’aimerai que ma vielle patiente reçoive enfin. Un truc tout con, un savon de Marseille afin d’amener un peu de soleil du sud dans mon soin et un peu moins de rougeurs sur sa peau que lui procure ce savon bas de gamme que son fils s’entête à lui acheter. Il y a ce vieux monsieur et sa paire de chaussons détendus et troués sur un côté. J’ai peur qu’il tombe en perdant une savate alors j’ai noté « Une paire de chaussons sécurisés » sur la liste des courses entre le lait entier et le beurre demi-sel. Il y a celle chez qui je réclame une simple paire de chaussettes supplémentaire. Tout est minimaliste chez ma vieille dame. Une paire de chaussettes, trois serviettes, deux robes, deux maillots. C’est la famille qui gère le linge. Et moins il y a de linge... Moins il y a de machine. 

Et puis il y a elle… Il y a une chose que je voudrais noter sur sa liste : « partir de chez vous ». Oui, je ne souhaite qu’une chose à ma vieille patiente. Qu’elle quitte sa maison.

Je suis accroupie devant elle. Je lui souris doucement en lui caressant l’épaule. J’essaie de ne pas lui montrer que je bouillonne, que je suis en colère. Que j’ai de la peine, et que je me sens tellement désemparée, que je suis un petit mélange de plein de sentiments dégeulasses qui ne devraient pas avoir leur place pendant ce soin plein de douceur qu’est l’aide à la toilette. Ma patiente ne lève pas les yeux vers moi, elle n’en a plus envie. La vieille dame ne cherche plus le regard, elle le refuse presque. Alors elle fixe les barreaux de son lit. Toute recroquevillée dans son fauteuil roulant, on sent depuis quelques mois la maladie l’enfermer de plus en plus dans son corps. Comme si elle se repliait, comme si elle cherchait à former une boule pour s’enfermer un peu dedans elle-même. Les soins d’hygiène deviennent compliqués. Le maintien à domicile aussi et le mari ne nous aide pas. Elle parle de moins en moins et les mots qu’elle prononce sont difficilement compréhensibles.

Elle se grabatairise. Ce terme moche et presque indécent pour qualifier le tournant d’une vie. La vie d’une personne que son corps ne porte plus, le corps d’une personne qui ne supporte plus la vie.

Elle me parle, elle essaie. Elle bafouille, elle se fatigue. Je la fais répéter parce que je sens que c’est important. Elle veut me parler de ce qui vient de se passer dans le salon. Mais je ne comprends rien à ses mots… Je lui demande de se calmer alors que c’est moi qui en ai besoin. Je m’excuse et je file dans la salle de bain pour chercher de l’eau chaude et souffler un peu devant le lavabo. Dans le miroir, je croise mes yeux et mes sourcils froncés. Je suis en colère. D’une oreille, je surveille les bruits dans la pièce d’à côté. Le mari semble s’être calmé. Ma respiration aussi… Mon reflet s'embue dans le miroir avec les vapeurs qui le recouvre d'un coup. Comment rester calme alors qu’il vient de la frapper...

- Mais c’est quoi votre problème !!

Je lui ai arraché la canne qu’il tenait dans la main. Il venait de frapper trois coups sur la tête de sa femme alors que j’attendais patiemment qu’elle repose sur la table la serviette qu’elle avait sur les genoux. Pas assez rapide, son mari l’a frappé. Devant moi. Je n’ose imaginer ce qu’il lui fait une fois la porte refermée et qu'il est seul avec elle. Ça n'avait pas été des coups au point de l’assommer. Mais le geste avait été violent. Il avait porté la main sur elle. J’ai perdu le contrôle, ça ne m’était jamais arrivé. Je me suis regardée faire sans maîtriser. Sans maîtriser ma fatigue, mes paroles, ma colère contre ce mari violent que l’on savait maltraitant sans jamais l’avoir vu. Qu’on savait insultant pour l’avoir trop souvent entendu. Je voyais ses yeux noirs me défier. Et sans me démonter je l’ai menacé. Intérieurement, je me suis dit « Vas-y, lève-toi. Ose t’approcher d’elle et de moi. Donne-moi une raison de te frapper ». Je me suis fait peur. J’ai emmené sa femme dans leur chambre et j’ai refermé la porte derrière nous…

mercredi 24 janvier 2018

Faire marchand de sable (plutôt qu'infirmière)




- Ça prend du temps de se laver toute seule hein... C'est pas facile Maman !

Ma fille a cinq ans et demi, elle galère à se sécher les cheveux avec sa grande serviette et non, apprendre à se laver toute seule, ce n'est pas facile et ça prend du temps :
- Et tu imagines, en plus de toi le soir, je dois aussi laver ta soeur et ce matin j'ai aussi aidé plein de gens à se laver... Des fois, le soir quand c'est à mon tour de me laver, j'en ai presque la flemme de me savonner tu vois...

- Bah t'as qu'à faire marchand de glace ! Bah oui, le marchand de glace il travaille que l'après midi. 'Puis comme ça tu pourrais rentrer avant qu'il face nuit et j'aurai de la glace au diner !


Pourquoi je n'y ai pas pensé...

Enfin, en réalité avec une pote on s'était juré à l'époque de l'école d'infirmière de se reconvertir vendeuses de chichis sur la plage si on en pouvait plus du métier de soignant (déjà à l'époque, on sentait que ça merdait pas mal dans le milieu du soin)

"Si soigner c'est l'ennui, le gras c'est la Vie !" (Ça marche aussi pour les soirées glace-au-chocolat ou pizza-base-crème ou charcuterie-vin-rouge entre potes infirmières !).

Donc si dans quelques années vous croisez une nana à frange sur la plage en train de vendre du gras sous forme de chichis ou de beignets, faites moi signe !

lundi 17 juillet 2017

Trois gorgées de bière et deux morceaux de fromage.



- Une bière ! Je te promets, j'étais à deux doigts de lui demander de me payer une bière !

J'étais en plein débriefe concernant la fin de ma tournée du soir avec mon conjoint. C'était notre petit rituel sur la terrasse et j'avoue que ce soir là, j'avais bien besoin de bière et de fromage de savoie pour décrocher de la tournée du soir qui avait débutée comme ça :


- Mais genre " maintenant maintenant " ou ça peut attendre la fin de ma tournée de soins ?

A priori ça pouvait attendre. Garée à l'arrache sur un trottoir, j'ai pris une fiche de route pour noter les informations de ma nouvelle patiente fraichement sortie de l'hôpital et dont les soins débutaient ce soir :

" Intramusculaire d'antibio' + sous cut' d'anticoagulant 
+ prise de sang x2 cette semaine + 
Pose de bandes de contention : tous les jours pendant 10 jours "


Cette série d'actes allait me forcer à solder une nouvelle fois mes soins étant donné que je ne pouvais pas facturer plus d'un soin et demi. J'ai profité de l'avoir au téléphone pour aborder avec ma patiente le fait que la pose de ses bandes de contention n'allaient pas lui être remboursé par la sécu' :

- Ah bon ? Mais j'ai pourtant une ordonnance de l'angiologue ! (grand classique du médecin non formé à la nomenclature...)

" C'est que la sécu refuse d'inclure la pose de bandes de contention dans la nomenclature qui nous permet de facturer nos soins. Je peux vous les poser, je suis formée pour, mais ça vous sera facturé non remboursé. C'est nul, je sais et ça m'énerve je vous le promet, mais..."

Mon téléphone a bipé, j'ai coupé court en promettant de passer la voir au plus tôt pour débuter ses soins et j'ai pris l'appel d'une patiente que j'avais perfusé le matin-même :

- Votre perfusion s'est... Déperfusée ?

J'ai rajouté "Arf !" mais dans ma tête ça sonnait "Fait chier !" et je lui ai répondu que je venais au plus vite. J'ai fait un soin rapide qui était sur la route et puis avant d'entrer chez ma patiente rebelle-de-la-perf j'ai envoyé un texto à ma nourrice pour prévenir que ma mère viendrait chercher mes filles, retard oblige. J'ai constaté le cathéter déperfusé, j'ai re-préparé une perf', j'ai repiqué et reperfusé en les quittant d'un joyeux "Si je dois repasser tout à l'heure, vous me préparez l'apéro !" avant de refermer leur maison. 30 minutes de retard.

J'ai continué ma route pour me garer devant chez ma nouvelle patiente non prévue. On a rediscuté de la pose des bandes de contention : elle acceptait de payer la pose tout en admettant que c'était con, pour elle et pour moi que la nomenclature ne soit pas mieux adaptée. Je n'ai pas pu la contredire et j'aurais adoré avec la Ministre de la Santé sous un bras et le grand patron de la Sécu sous l'autre..

Je suis repartie de chez elle au ralenti, un peu fatiguée. Ce premier jour de reprise prenait fin et pourtant la fin de ma tournée me semblait loin, mais loin ! Encore 18 jours... Les vacances semblaient bien loin d'un coup.

J'ai retraversé deux communes pour me rendre chez ma dernière patiente, ma grognon-chronique. Toujours de mauvaise humeur, un peu-beaucoup alcoolique, toujours en colère contre la vie, franchement démente, et ce soir... Complètement imbibée d'alcool, jusque dans son lit qu'elle avait trempée d'urines. 
Il faisait chaud elle avait bu, mais pas de l'eau. Elle, ce qu'elle aimait c'était le vin rouge, celui qui tâche ses robes à fleurs. Ma patiente était perdue de ne plus savoir si c'était la fin de journée ou le matin et j’ai maudit le soleil qui la perturbait autant les soirs d'été. Elle était agacée de me voir arriver en retard et j'ai maudit sa démence-alcoolisée qui me reprochait mes avances, mes retards et peut-être ma présence tout court. Moyennant négociation, j'ai réussi à la mettre au propre et je l'ai quitté en pleine guerre contre les mouches qui envahissaient toute l'année cette maison qui sentait l'urine de chat et la pâté pour son vieux chat roux.

Déjà 45 minutes de retard, j'avais envie de rentrer bisouiller mes filles pour bien clôturer ma journée avant qu'elles aillent se coucher et puis mon téléphone a sonné :

- Devinez quoi... Qu'est ce que vous aimez boire à l'apéro ? ... Je me suis re-redéperfusée.

Oui, débriefer de tout ça valait bien trois gorgées de bière et deux morceaux de fromages.

vendredi 16 juin 2017

Le dernier soin d'hygiène.








Aider sa dernière patiente à être propre pour la nuit, fermer la porte de sa maison, remonter dans sa voiture, rouler... Et passer la porte de chez soi assez tôt pour participer au tout dernier soin d'hygiène de la journée.

Celui avec des crêtes en mousse sur la tête, celui avec des bras potelés et des petits pieds qui le sont tout autant, celui avec "Regarde Maman je fais la fontaine avec ma bouche", celui avec des cris et des rires, des bulles et de l'eau qui déborde.

Mes enfants, mes puces d'Amour c'est ma rephase à moi, mes piles qui me rechargent, mes petits coeurs quand le mien semble s'être un peu trop vider...

Elles sont magiques mes filles, vraiment, et elles envoient grave de la paillette !
😁💙💚

samedi 13 mai 2017

Jéhovah et Service à domicile, même combat.





- … C’est qu’on vient de s’implanter sur le secteur… Non... En fait notre démarche vise à décharger les infirmières dans leur travail en faisant intervenir des auxiliaires de vie pour les toilettes…


Quand j’étais petite, nous avions au moins une fois par mois la visite des témoins de Jéhovah. Ils devaient certainement voir au travers des trois lettres « HLM » inscrites en bas de notre immeuble, le manque d’oseille de ses habitants en carence de repères et de croyance. Avec mon frère, nous faisions un pari à celui qui les retiendrait le plus longtemps à la porte de notre logement. Nous avions rapidement compris qu’en les retenant un maximum de temps, ils embêteraient un minimum de gens.

Dans l’entrée de mon appartement, je contrais tous leurs arguments. Je citais la bible, le Coran et la Bhagavad-Gita que j’avais lu entièrement. Je ressortais les idées lues dans les Tout l’Univers, les Quid et les dictionnaires. Du haut de mes dix ans, j'étais aussi effrontée que pouvait l’être une enfant qui n'aimait pas franchement Dieu mais qui avait compris une chose : « Le Jéhovah cherchera toujours à te convaincre que tu as tort tout en étant persuadé qu’il est en train de t’aider ». Mais j'étais du genre butée et j’avais trouvé là un moyen de passer le temps en attendant que mes parents rentrent du travail...


Cet après-midi et quelques années plus tard, j’étais dans ma paperasse d'infirmière libérale et je m’ennuyais un peu lorsque mon téléphone a sonné. Une dame à la voix souriante et irradiante de bonté s'est lancé dans un argumentaire imparable pour me présenter ses services. C’était une agence de prestations à domicile : « On accompagne les personnes à leur domicile en leur permettant de rester chez eux » ça puait l’accroche-cœur-avec-les-doigts et puis elle a eu cette phrase malheureuse :


- Nos interventions auprès de vos patients pour les aider à se laver, vous permettraient de vous décharger en vous recentrant sur l’essentiel de votre métier…


Je me suis revue vingt années plus tôt dans l’entrée de mon appartement. J’avais grandi, je n’étais plus effrontée mais j’avais envie d’en découdre :

lundi 30 mai 2016

La symphonie des soins.




- Vous êtes sûr que vous allez y arriver ?

Je sentais peser sur moi le regard de cette nouvelle patiente qui semblait douter de ma capacité à la soigner. Depuis mon arrivée chez elle, la vieille dame n’avait pas décollé les yeux de mes mains qui tentaient de faire fonctionner sa pompe et de mon visage qui tentait de camoufler ma gêne. J’avais l’impression d’être en plein examen de stage ; désagréable. Alors que je déglutissais ma boule de stress, je sentais monter en moi des relents dégueulasses d'un vieux mélange de panique, d'agacement, d'impatience et d'envie de me barrer en courant. Le genre de cocktail puant le non-professionnalisme dont je me serais bien passée ce matin là
Trois boutons sur une pompe à insuline bordel, c'était quand même pas compliqué ! J'avais été formé deux semaines plus tôt par le prestataire, j'avais relu la fiche dans ma voiture avant de franchir la porte de sa maison, j'avais même regardé des tutos sur Youtube c’est dire... Mais ce matin là : blocage.

Ce soin était tout nouveau pour moi. J’avais l’étrange impression qu’on me demandait de danser sur une chorégraphie apprise en deux-deux et que je n'avais de cesse de me tromper dans les pas et de marcher sur les pieds de celle qui attendait que je mène la danse comme une pro. Le genre de freestyle en mode « Je souris dehors mais je pleure dedans, sauvons les apparences ou sauvons-nous tout court… Mais tu vas fonctionner p*tain de b*rdel de pompe !!». Le tout auréolé d’un sourire jusqu’aux oreilles camouflant un hurlement à te décrocher les amygdales.

J’étais sûr d’y arriver, il fallait simplement me laisser le temps de comprendre la choré’. Alors en attendant de danser avec toute l’aisance d’une Beyoncé en talons et body à paillettes, j’improvisais des petits pas de danse appris par cœur et sur lesquels j’étais sûr de ne pas me vautrer : tenu du diagramme de soins, purge de la tubulure, pose du nouveau cathéter... Parce que soigner finalement, c’est un peu comme danser avec son patient (les talons aiguilles et le body pailleté en moins). Les prescriptions seraient les partitions, les pinces Kocher, les aiguilles, mes mains et mon sourire seraient mes instruments et mes patients seraient la douce mélodie de la symphonie des soins.

J'ai toujours été passionnée de musique. C’est une obsession et je ne me verrais pas vivre sans elle. Depuis toujours j'associe des moments de ma vie, des endroits qui me sont chers et les personnes qui me touchent à des chansons bien précises. Je suis impressionnée par l'instrument, par ses vibrations puissantes qui te font trembler la rate, par les douceurs des notes qui te transportent l’encéphale en dehors de sa boite, par les tendons qui s’étirent et qui se tendent sous l’impulsion des notes qu’il faut marquer sur les cordes. Les morceaux sont joués avec un tel naturel qu’on en oublierait qu’il a fallu apprendre et se tromper à un moment. Parce qu'avant d'être bon, il faut être mauvais et se tromper Et accepter d'être paumée devant une pompe à trois boutons.

La symphonie des soins, c’est la musique de mon travail. C’est la douce mélodie de mon métier d’infirmière libérale.

Il y a ces actes qui résonnent dans ma tête comme autant de comptines apprise par cœur alors que je n’étais qu’un bébé-soignant à l’école d’infirmière : « SHA avant, SHA pendant, SHA tout le temps ! », « Du plus propre au plus sale ! », « Le patient BMR, toujours en dernier ! », « Quoi que tu dises, quoi que tu fasses, il y aura toujours des frites au self du CHU le midi ! ». 
Certains morceaux répétitifs deviennent faciles à jouer avec l’expérience. Les prises de sang, les injections, les pansements simples sont ces mélodies connues sur le bout des doigts par les infirmières gantées de latex et qui ponctuent leurs tournées de soins.
Parfois, certaines partitions foireuses viennent créer la fausse note et certains soins peuvent rapidement vous donner la migraine. Des veines impiquables ou qui claquent, des portes qui tardent à s’ouvrir ou  qui ne s’ouvrent pas, des sorties d’hospit’ sans matériel ou sans ordonnance, des AVC, des INR dans les chaussettes ou des grands-mères au sol après avoir tâté du bout du chausson le coin du tapis du salon.

mercredi 10 février 2016

Sois-niante et con.





- J’suis pas sourde !!

J’ai mis la main dans ma poche et j’ai hésité à couper le dictaphone qui fonctionnait depuis le début de la matinée discrètement dans ma blouse. Parce que ce n’était pas elle que je voulais enregistrer. 
Elle, c’était ma vieille patiente de quatre vingt dix ans qui refusait de décroiser ces jambes qu’une souplesse illogique pour son âge maintenait en tailleur. Elle ne voulait pas se lever pour me suivre dans la salle de bain. La petite dame aux yeux incroyablement clairs portait une chemise de nuit rose avec un dessin d’ourson tenant contre lui un cœur géant au dessus duquel il était écrit "Sers-moi fort !". Elle était assise sur ce fauteuil bleu plastifié moche qu’on trouvait dans toutes les chambres de ce service de gérontologie. 

J’y entamais ma troisième semaine de stage et je prenais de plus en plus confiance en moi alors que mes études n’avaient commencé que depuis un trimestre à l’école d’infirmière. Je prenais pour repère les diplômées qui m’encadraient et notamment celle qui ne connaissait toujours pas mon prénom malgré huit heures par jour passées à ses côtés depuis le début de mon stage. Le soir, je rentrais dans mon appartement d’étudiante avec ce sentiment de travail accompli, celui d’avoir bien soigné, d’avoir été juste et à ma place… Mais ce matin, l’eau chaude dans le lavabo allait refroidir et je ne savais plus quoi faire pour inciter la vieille dame à me suivre.

Mes "Allez, on fait un petit effort et on m’accompagne dans la salle de bain pour se laver… " de ma petite voix perchée n’avaient aucun effet. Elle campait sur ses positions et à moins d’emmener le fauteuil avec nous dans la micro salle de bain, je n’allais jamais réussir à l’aider à se débarrasser de son pyjama. Je n’avais qu’une envie, faire ce que me demandait son t-shirt : la serrer fort contre moi pour l’emmener dans la pièce d’à côté. Et hop ! L’affaire serait réglée et mamie serait déjà propre et habillée en train d’adopter des positions que ma jeune souplesse ne me permettait même pas de pratiquer.
Je regardais ses mains tenir fermement les accoudoirs du fauteuil, la maigreur de la vieille dame était incroyable. Je pouvais voir chacun de ses tendons, de ses plus petites veines et de ses os juste sous cette peau bien trop grande pour elle. Mieux que les planches d’anatomie, j’avais devant moi de quoi réviser mes cours d’ortho’, de géronto’ voire de neuro’ tant son refus de se lever s’apparentait pour moi à un début de démence. Fort de ce diagnostique établi dans ma tête de toute jeune étudiante, je ressortais de sa chambre en me disant que ce n’était pas de ma faute mais juste un peu de la sienne parce qu’elle était démente la pauvre dame, qu’elle ne comprenait plus pourquoi elle devait aller se laver, qu’elle était vieille et que sa démence était aussi une bonne excuse et que ce n’était finalement pas non plus de sa faute à elle : 1 partout, la balle au centre.

Je quittais donc la chambre à la recherche de ma roue de secours : ma soignante-référente. Celle qui me supportait depuis deux semaines avec la même considération qu’un boulet d’une tonne à sa cheville. Celle qui ne me parlait qu’en soufflant toute l’exaspération que lui insufflait ma présence, celle que j’avais voulue enregistrer ce matin. Pour quelle raison ? Je ne sais pas. Pour rigoler d’elle une fois rentrer chez moi peut-être. Oui j’ai été con sur ce coup-là, j’avoue.

La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...