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vendredi 13 mars 2015

Il y a des jours où l’on se vexe pour trois fois rien et où l’on s’en veut deux fois plus.

 

Nous étions en retard et les soignants du service allaient s’impatienter. Mais peu importe, je n’allais pas la brusquer pour autant. Ce matin il faisait froid, la nature avançait au ralenti, comme nous tous chez elle ce jour là. J’ai pris le temps de recouvrir sa tête sans cheveux de son turban en velours gris, cette couleur mal choisie qui lui donnait un teint cireux. Alors que je m’agenouillais devant son fauteuil roulant pour lui dire au revoir, pour lui dire de bien se reposer là-bas, elle a posé sa main sur la mienne et de sa bouche si fragile est sorti une des rares phrases qu’elle avait eu la force de dire ce matin là :


«  Merci... [..] »

Dix jours plus tard, mon téléphone a sonné, avec à l’autre bout du combiné son mari. Il tentait de m’annoncer avec le plus de distance possible ce que sa pudeur et son amour pour elle, rendaient au combien difficile. Son corps et son esprit avaient lâchés prise dans la nuit... Elle était décédée. C’était sans surprise finalement, on s’y attendait tous. J’avais pensé à elle chaque jour depuis son départ, me demandant à chaque fois si cette pensée morbide n’était pas un message qu’elle m’envoyait pour me dire qu’elle nous avait quittés. 

En raccrochant mon téléphone après une telle annonce, il y a toujours quelques minutes de flottement. Un moment de vie parallèle où beaucoup d’idées s’affolent mollement dans mon esprit. De la tristesse, parfois du soulagement même si l’idée est terrible à admettre, beaucoup de pensées pour elle et pour ses proches. Et rapidement, le sentiment qu’elle va nous manquer, le regard figé sur  une bougie allumée pour elle sur une étagère de mon salon…

Nous avions perdu en peu de temps trop de patients qui nous étaient chers et la liste de nos « patients-chouchous » avait pris dur, tout comme nos cœurs de soignants. Sa mort se rajoutait à la longue série noire de décès qui touchait notre commune depuis quelques temps. Il n’y avait pas un jour où, au détour de ma tournée, un patient me disait « Vous avez vu, il y a encore eu un décès ! ».
Depuis quelques jours, je surveillais le journal local pour y regarder, entre autre chose, les annonces de décès. Réflexe conservé et peut être un peu glauque de mes deux années passées aux pompes funèbres. Mon regard parcourait en diagonal les nombreux encarts de la rubrique nécrologique. Ma lecture rapide fut accrochée par le nom de ma patiente, et du pincement au cœur ressenti de la voir ainsi présente sur cette page, se rajouta un sentiment de vexation, peut être stupide mais bien réel :  



«… La famille remercie l'ensemble du personnel du centre de cancérologie pour sa gentillesse et son dévouement. ».
 
Et rien pour nous. 

dimanche 8 février 2015

Il y a des jours où sous une couverture léopard, se mêlent la peine, la colère et l’amour.



- Ta gueule !!

Heureusement pour moi, je connaissais bien la maison et ceux qui la peuplaient, sinon j’aurai pu croire que cet accueil m’était destiné. Mais c’est la chienne qui venait d’être baptisée d’un nouveau surnom pour avoir répondu de son aboiement aiguë et criard au tintement de la sonnette de porte. Ce n’était pourtant pas l’habitude de cette famille plutôt introvertie. 
Le cliquetis des clés dans la serrure n’était pas vraiment le même qu’à l’accoutumée et l’ouverture de la porte était nerveuse, presque brutale. Mon sixième sens bien encré au centre de mon plexus me fit une petit pointe et je senti que ça n’allait pas le faire et que ce soin qui ne devait me prendre que quinze minutes allait durer plus longtemps.

Par réflexe et pour tâter le terrain je m’enquis de l’humeur de celui qui venait de m’ouvrir la porte :

- Non ça va pas ! 

En me montrant d’un mouvement de main directif, sa femme, couchée sur le canapé. Leur fille d’à peine vingt ans était accroupie à ses côtés. Elle caressait la chevelure courte de sa mère, clairsemée par les nombreuses cures de chimiothérapie. Ma patiente me tournait le dos, bien emmitouflée dans son épaisse couverture aux motifs léopards.

- Et puis elle refuse de manger là ! Ça va pas, c’est pas possible !! 

Avant d’aller s’enfermer dans son garage. Son lieu de décompression rien qu’à lui dans lequel il avait pris l’habitude de s’enfermer pour bricoler et se couper un peu de l’ambiance, que le cancer de son épouse avait su rendre pesant.

Pour le mari, je verrais plus tard. La priorité était ma patiente. 
Cette femme que je commençais à bien connaitre. D’une humeur jamais vraiment gaie mais jamais déprimée non plus. La croyant au départ antipathique, elle avait su me démontrer que sa nonchalance lui permettait bien au contraire de faire face aux pires situations. « Moi j’ai l’habitude de dire que ça va aller ». Le genre de personnalité dont l’expérience m’aura appris à me méfier, tant il est difficile de cerner le moment où rien ne va plus vraiment.

Et ce fameux moment était en train de se jouer à cet instant même, sous cette couverture. Ma patiente était recroquevillée autant que son corps le permettait, bien calée avec les coussins visant à protéger sa peau des points de pression pouvant lui créer des escarres. Les larmes lui coulaient sur les joues alors qu’elle se forçait, une paille dans la bouche, à boire le contenu infâme d’une boisson hyper-protéinée dont le goût de «café » n’en avait que le nom. 
Sa fille s’était retirée pour me laisser la place. Je lui enlevais doucement la paille de la bouche, lui exprimant ainsi, que la priorité n’était pas de prouver qu’elle était capable de fournir les efforts dont son mari semblait lui reprocher le manque.


vendredi 9 janvier 2015

Il y a des jours où les plaintes divisent et où les larmes unissent. (Je suis Charlie)



- Ooooh, ils nous font suer avec ça ! Ça intéresse personne de toute façon !!

Le « ça », c’était l’édition spéciale en direct sur les deux prises d’otage au lendemain du carnage de Charlie Hebdo, et qui l’empêchait de voir son jeu-télé préféré devant lequel elle adorait se gausser, faisant rebondir son opulente poitrine. 
Elle, c’était une de mes patientes "plaintive chronique". Chez elle, rien n’allait jamais. Pour elle, rien n’était suffisamment bien. Autour d’elle, rien n’était jamais comme elle le voulait. Cette vieille dame était une plainte à elle toute seule, enserrée dans une robe à fleur à moitié cachée par une blouse verte au liseré bleu. 
Elle était rendue à un âge où le nombre d’années l’éloignait de plus en plus de sa naissance pour la rapprocher de ce qu’elle devait percevoir comme une délivrance, tant sa vie lui semblait être un fardeau. Une existence remplie de plaintes qui l’empêchaient certainement de profiter des petits bonheurs que la vie aurait pu lui offrir. Je ne sais pas si cette vieille femme avait un jour aimé sa vie. Quoi qu’il en soit, elle avait fait le choix de ne pas partager celle des autres, celle de ceux qui l’entoure ou qui vivent de l’autre côté de l’écran. Elle avait préféré éteindre la télévision.

Ce jour là, j’enchainais ma quatorzième journée travaillée sans interruption. J’étais fatiguée. Ce matin là, je m’étais réveillée les yeux lourds, le cœur creux, l’âme meurtrie et l’esprit perdu comme un lendemain de deuil. Je n’avais pourtant perdu personne de ma famille. Je venais seulement de perdre un peu plus foi en l’humain. 
La veille, douze personnes d’une rédaction tombaient sous les balles d’armes automatiques parce que leurs idées, leurs dessins, n’étaient pas partagées par ceux qui les pointaient de leurs armes. Cette cruauté, cette censure n’était pas nouvelle. Combien d’autres ont été pris en otage ou abattu en dehors de nos frontières? On en entend régulièrement parler sur les grandes chaines, mais soyons honnêtes, lorsque cela se déroule à l’étranger, rien n’est pareil, ça n’a pas le même impact. 
C’est malheureux, mais il m’aura fallu attendre cette nuit, l’obscurité de ma chambre et mon regard perdu cherchant mon plafond dans le noir, pour prendre conscience que je n’avais peut être pas assez ouvert mon cœur à ce qui pouvait se passer de l’autre côté de mon pays, à ceux qui subissaient la censure de l’autre côté de ma si jolie France. Cette nuit là, je me suis sentie privilégiée et en danger dans ma liberté de penser. Je me suis sentie égoïste, seule et impuissante. Mes yeux se sont embués. J’ai mal dormi.

mercredi 12 novembre 2014

La violence se cache derrière un foulard, un regard ou une porte de maison.




- Mais que voulez vous que je fasse ?!

« Enfuyiez-vous. »

Elle tenait la poignée de la porte qui la séparait de l’extérieur. J’ai posé ma main sur son bras et je lui ai conseillé, je l’ai imploré de partir, de quitter son foyer, sa maison. Elle a levé les yeux vers moi et j’ai compris à son regard qu’elle ne le ferait pas.

Je m’occupais de son mari depuis des mois. Son diabète m’ouvrait la porte de leur maison plusieurs fois par jour. Il y a des foyers desquels il est parfois difficile de repartir tant le temps semble s’y être arrêté. Il existe des maisons où l’on prend plaisir à entrer et où l’on sait que le moment partagé sera agréable. Ce n’était pas le cas ici.


mardi 11 novembre 2014

On se revoit dans deux ans !


Alors que je suis en train de préparer le matériel nécessaire à la réalisation de son vaccin anti-grippal, la petite mamie me dit :

- Oui, c'est vrai que j'ai dis à votre collègue que je préférais que ce soit vous parce que l'année dernière vous ne m'aviez pas fais mal, je n'avais rien senti !

... Je la vaccine et nettoie ma paillasse, et alors qu'elle se rhabille elle me dit bien déterminée :

- L'année prochaine, je prendrai rendez-vous avec votre collègue parce que j'ai senti la piqure !

Comment vous dire... Ça reste une aiguille ! Bon courage à mon collègue l'année prochaine ! ^^
Mon petit doigt me dit que je la reverrai dans deux ans ! ^^

lundi 20 octobre 2014

L’apprentissage du soin se fait dans la violence.




S’il est un sentiment qui ne me quitte jamais lorsque j’entre seule dans la maison d’un nouveau patient, c’est la petite peur, peut être irrationnelle, de ne jamais réussir à en sortir. Mais cette peur, je la refoule au plus profond de moi, de crainte qu’elle ne m’empêche d’exercer convenablement mon travail d’infirmière. 
Cette crainte de l’agression, j’en ai pris conscience dès mes premiers contacts avec les patients que je soignais alors étudiante. L’accumulation de ces situations, les médias et leurs faits divers ont eu raison de moi et de mon innocence qui ne m’avait pas encore complètement quittée avant d’entrée dans le milieu du soin.

Etudiante, les services hospitaliers, les maisons de retraites et les habitations me sont apparus comme des concentrées de représentations sociales, un microcosme avec ses bons côtés et ses travers.
Étais je si naïve à l’époque que j’ai pu croire un instant que mes soins ne seraient prodigués qu’à de gentilles personnes reconnaissantes ? Rapidement j’ai compris que notre profession n’était pas toujours respectée. Les insultes, les coups, les regards noirs m’ont mis face à l’humain et à son côté le plus sombre : la violence.

Dans un premier temps, c’est la démence qui m’a ouvert les portes de cette agressivité folle.

mardi 25 mars 2014

Il faut lire entre les lignes pour comprendre entre les maux.






Je sais pas si c’est la saison, l’hiver qui n’a que trop duré, les effets de la lune lorsqu’elle est pleine ou bien encore la fameuse crise nationale qui mettrait à mal le porte monnaie et le moral de ceux qui le remplissent, mais en ce moment, les patients semblent davantage se plaindre. Je me dois alors d’avoir, dès le matin, l’oreille aiguisée prête à écouter les confidences de mes patients, voire à creuser si besoin. Et alors que la seule chose que je voudrais creuser c’est un trou pour y enterrer mon réveil, je compte sur la radio censée capter mon attention et sur le thé chaud de mon thermos pour me maintenir éveillé.

Mais parfois, les maux sont aussi subtils que les mots, et il faut savoir écouter naïvement pour comprendre que quelque chose ne va pas.

mercredi 26 février 2014

Dire que " ça va aller " est tout simplement impossible.




La toute petite dame est agitée et un peu débraillée sur le pas de sa porte ce matin : « oh, vous êtes là, mais j’allais aller chercher mon courrier ! ». Elle avait sa clé à la main et les larmes aux yeux. Je l’invite à rester au chaud et sors ma casquette de factrice.

Je la suis jusqu’à son salon. Elle traine des pieds alors que ce n’est pas son habitude, sa chemise sort de son pantalon et elle a l’air négligée alors qu’elle est d'ordinaire coquette. Dans la maison ça ne sent pas le parfum et il y a des miettes plein la table alors que le petit dèj’ est digéré depuis longtemps.

La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...