lundi 31 décembre 2018

H.A.D. Le petit cadeau de fin d'année.



- ... Et pendant que je vous ai au téléphone je voulais vous dire que...

C'est le genre de phrase que l'infirmière coordonatrice de l'HAD aurait pu terminer par :
♡ : Je voulais vous remercier pour vos soins auprès de ce patient lourdement handicapé
♡ : Vous êtes apprécié de ce patient donc on a décidé de vous contractualiser plus souvent!
♡ : Nous avons augmenté vos rémunérations pour fêter la nouvelle année...

Mais l'infirmière m'a dit "dès demain, au 1er janvier, nous appliquons une nouvelle convention qui nous obligera à décoter vos soins comme vous le faites déjà avec la sécu..." (tu sais le fameux "1er soin payé entièrement, le 2ème à moitié prix et les suivants étant gratuits" que m'impose la nomenclature de la sécu. Joie)

Hein ?!

Pour rappel, l'HAD (Hospitalisation  À Domicile) contractualise les infirmières libérales et les paye selon notre nomenclature (en général) mais à taux plein. "3 soins réalisés, 3 soins rémunérés, You-pi".

Et puis là, d'un coup, on me parle d'une nouvelle convention, on me dit que c'est pour "harmoniser les pratiques", que c'est décidé par la direction de l'HAD et que l'infirmière coordonnatrice n'a plus qu'à l'appliquer...

... Et moi à fermer ma gueule et à perdre les trois quart de mes revenus chez eux. Le patient en question est handicapé lourdement. Sondes (oui,  avec un "s"), préparations et administrations de traitements, évacuations des selles (oui, avec un "s"), pansement, soutien moral au patient et à sa famille +++. 4 à 5 soins chaque matin, 2 soins chaque midi, 2 à 3 soins chaque soir. 1h30 de soins par jour qui, à partir de demain, me seront payés au rabais comme si je n'en faisais qu'un et demi... Et bonne année 😠.

Ils veulent harmoniser les soins mais pas les revenus. A partir de demain, l'HAD baisse les paiement de mes soins mais eux continueront de toucher le même forfait de 200€ par jour pour mon patient. On harmonise les soins mais pas les coups. Je suis dégoutée et en colère...

samedi 29 décembre 2018

C'est dans la boite (et dans le coeur aussi)



- Ah oui j'allais oublier, il faut passer chez mon voisin. Il a une bronchite et est tout perdu dans les médicaments que lui a prescrit le médecin !

Le monsieur en question est un de mes très vieux patients. J'ai reposé la tasse de thé que m'avait offert ma patiente et j'ai filé le voir pour jeter un oeil à ses traitements... Gratuitement.

Gratuit pas cher parce que je n'ai pas le droit de facturer un passage en plus de celui que je fais déjà chaque semaine pour refaire son pilulier. Saleté de bronchite et de nomenclature ! Un peu halluciné de m'entendre lui dire que j'étais là gratuitement, il m'a offert la belle grosse boite sur laquelle je lorgnais et dans laquelle je me voyais déjà mettre mes bébés phasmes fraîchement éclos... Pilulier modifié, salutations, gratouilles au chien et je suis repartie. 

Arrivée à ma voiture, j'ai voulu prendre ma grosse boite en photo. Et là j'ai entendu "Oh, Charline ! Je suis contente de te voir !".

Elle, c'est la femme de mon Patient-Chouchou décédé l'année dernière et qui a laissé un trou à l'emporte pièce dans mon coeur de soignante. C'est marrant parce que j'ai pensé à lui hier soir en retombant sur une publication qui lui était dédié "Et ce soir, je trinque". Un article dans lequel je buvais un verre de vin rouge en pensant à lui la veille de son enterrement...

Et sans que je m'y attende, elle s'est effondrée dans mes bras. Là, sans prévenir elle m'a dit combien c'était difficile en cette fin d'année de devoir en commencer une nouvelle sans lui, sans toi. Et moi de lui dire que j'avais souvent l'impression de te voir... Comme deux couillonnes à se dire combien tu nous manques.

"Il n'y a pas de hasard si tu es là..." m'a-t-elle dit en me souriant. Moi j'ai pensé au thé que j'avais bu et qui m'avais retardé, à la bronchite de mon patient, à ses traitements à trier, à sa boîte offerte et à la photo que j'avais prise et qui m'avait attardée devant ma portière ouverte...

Je ne sais pas si c'est le fruit du hasard, un croisement d'étoiles ou Toi mais moi je crois aux signes de la Vie qui donnent parfois des pincements au coeur ❤

lundi 24 décembre 2018

Mes listes de Noël pour mes patients




Chaque Noël, mes tournées de soins prennent un goût particulier. Les maisons de mes patients se chargent de décorations et éclairent mon arrivée avec des guirlandes lumineuses sur les façades. On me donne des idées de recettes pour le dîner du réveillon, on me montre la crèche mise en place par les enfants et je quitte les maisons de mes patients avec un goût de chocolat que je n’ai pas osé refuser. J’aime bien Noël, même si c’est une fête qui me rend toujours un peu nostalgique. Surtout lorsque je pars de chez eux…
Eux, ce sont ceux dont je passe la porte chaque jour et chez qui rien ne bouge. Qu’il gèle sur les toits, qu’il pleuve dans le jardin ou que le soleil tape fort sur les fenêtres. Les saisons défilent et rien ne bouge. Pas une guirlande de noël, pas une misérable boule pour donner un semblant de fête. Il y a des maisons où les habitants semblent se foutre de tout, comme une nostalgie contrainte qui se répéterait chaque année. Il y a des maisons dans laquelle la tristesse n’a pas de saison et où Noël n’a plus aucune raison.

Chez mes vieux patients chroniques, je fais des listes. Des listes de cadeau que je souhaiterai que leurs proches leur achètent pour les fêtes. Pour leur confort et pour le mien un peu aussi. Il y a ce savon que j’aimerai que ma vielle patiente reçoive enfin. Un truc tout con, un savon de Marseille afin d’amener un peu de soleil du sud dans mon soin et un peu moins de rougeurs sur sa peau que lui procure ce savon bas de gamme que son fils s’entête à lui acheter. Il y a ce vieux monsieur et sa paire de chaussons détendus et troués sur un côté. J’ai peur qu’il tombe en perdant une savate alors j’ai noté « Une paire de chaussons sécurisés » sur la liste des courses entre le lait entier et le beurre demi-sel. Il y a celle chez qui je réclame une simple paire de chaussettes supplémentaire. Tout est minimaliste chez ma vieille dame. Une paire de chaussettes, trois serviettes, deux robes, deux maillots. C’est la famille qui gère le linge. Et moins il y a de linge... Moins il y a de machine. 

Et puis il y a elle… Il y a une chose que je voudrais noter sur sa liste : « partir de chez vous ». Oui, je ne souhaite qu’une chose à ma vieille patiente. Qu’elle quitte sa maison.

Je suis accroupie devant elle. Je lui souris doucement en lui caressant l’épaule. J’essaie de ne pas lui montrer que je bouillonne, que je suis en colère. Que j’ai de la peine, et que je me sens tellement désemparée, que je suis un petit mélange de plein de sentiments dégeulasses qui ne devraient pas avoir leur place pendant ce soin plein de douceur qu’est l’aide à la toilette. Ma patiente ne lève pas les yeux vers moi, elle n’en a plus envie. La vieille dame ne cherche plus le regard, elle le refuse presque. Alors elle fixe les barreaux de son lit. Toute recroquevillée dans son fauteuil roulant, on sent depuis quelques mois la maladie l’enfermer de plus en plus dans son corps. Comme si elle se repliait, comme si elle cherchait à former une boule pour s’enfermer un peu dedans elle-même. Les soins d’hygiène deviennent compliqués. Le maintien à domicile aussi et le mari ne nous aide pas. Elle parle de moins en moins et les mots qu’elle prononce sont difficilement compréhensibles.

Elle se grabatairise. Ce terme moche et presque indécent pour qualifier le tournant d’une vie. La vie d’une personne que son corps ne porte plus, le corps d’une personne qui ne supporte plus la vie.

Elle me parle, elle essaie. Elle bafouille, elle se fatigue. Je la fais répéter parce que je sens que c’est important. Elle veut me parler de ce qui vient de se passer dans le salon. Mais je ne comprends rien à ses mots… Je lui demande de se calmer alors que c’est moi qui en ai besoin. Je m’excuse et je file dans la salle de bain pour chercher de l’eau chaude et souffler un peu devant le lavabo. Dans le miroir, je croise mes yeux et mes sourcils froncés. Je suis en colère. D’une oreille, je surveille les bruits dans la pièce d’à côté. Le mari semble s’être calmé. Ma respiration aussi… Mon reflet s'embue dans le miroir avec les vapeurs qui le recouvre d'un coup. Comment rester calme alors qu’il vient de la frapper...

- Mais c’est quoi votre problème !!

Je lui ai arraché la canne qu’il tenait dans la main. Il venait de frapper trois coups sur la tête de sa femme alors que j’attendais patiemment qu’elle repose sur la table la serviette qu’elle avait sur les genoux. Pas assez rapide, son mari l’a frappé. Devant moi. Je n’ose imaginer ce qu’il lui fait une fois la porte refermée et qu'il est seul avec elle. Ça n'avait pas été des coups au point de l’assommer. Mais le geste avait été violent. Il avait porté la main sur elle. J’ai perdu le contrôle, ça ne m’était jamais arrivé. Je me suis regardée faire sans maîtriser. Sans maîtriser ma fatigue, mes paroles, ma colère contre ce mari violent que l’on savait maltraitant sans jamais l’avoir vu. Qu’on savait insultant pour l’avoir trop souvent entendu. Je voyais ses yeux noirs me défier. Et sans me démonter je l’ai menacé. Intérieurement, je me suis dit « Vas-y, lève-toi. Ose t’approcher d’elle et de moi. Donne-moi une raison de te frapper ». Je me suis fait peur. J’ai emmené sa femme dans leur chambre et j’ai refermé la porte derrière nous…

jeudi 20 décembre 2018

Le FlashMob Postal, c'est fini.


J’y réfléchis depuis plusieurs jours et j’ai dû me rendre à l’évidence : le FlashMob Postal n’a pas fédéré autant qu'il aurait dû. Pourtant j’y ai cru, bordel, mais tellement… 

Je pensais avoir trouvé une solution simple pour nous faire entendre. Un nouveau moyen pour nous rassembler, bon ok, chacun chez soi, mais un peu ensemble quand même. Un outils unique pour faire remonter au plus haut un ras le bol de soignant qui dure depuis trop longtemps… Ecrire au Président. C’était tellement fou.

Après un démarrage complètement dingue (Plus de 3500 participants dès le 2ème envoi). De nombreuses infirmières de structure ou du libéral ont envoyé leurs courriers au Président. Les étudiants et les aidants nous ont rapidement suivi moyennant un courrier, encore une fois modifié pour eux… 

Il y a eu vos photos géniales. Vos sourires de guerrières derrières vos selfies-cernes. Toutes vos lettres empilées en tas parfois bien épais. J’y ai cru, vraiment. J’ai pensé que ça décollerait mais l’engouement est retombé… Pour enregistrer à peine plus de 600 participants au 6ème FlashMob Postal.

Alors que nous sommes plus de 600 000 infirmières en France.

600 participants....

Qu’est ce que j’ai foiré ? 

Je te promets, je me pose cette question depuis des jours, des semaines pour être honnête. J’essaie de comprendre où j’ai merdé. Le courrier mal foutu ? Le manque de relance de ma part ? La fatigue qui m’empêche de vous motiver ?

Depuis le 1er FlashMob Postal du lundi 8 octobre, j’ai reçu beaucoup de messages. Plus de mille je pense. De soutien pour la plupart. Mais dans le lot il y a eu des menaces. Des insultes. Des menaces de mort où l’on me disait qu’on allait « me cramer et m’égorger ». Des messages où l’on me disait que je faisais dans le « bobo des villes macronien » avec mon écriture inclusive. Des messages où l’on me disait que j’avais perdu ma flamme et qu’au lieu de faire dans le mignon, je faisais dans le politique et que j’avais déçu « T’écris plus rien sur tes patients, t’es devenue une infirmière à fric ! ». D’autres qui me disaient que je rendrais service aux autres à me reconvertir. Tu sais, j’ai pleuré des fois de les lire ces mots durs. Même si ils étaient rares. Moi, je voulais être utile à ma profession. Je voulais juste aider à faire entendre la voix des collègues. Je me suis trompée, je n’en ai pas les capacités.

Pour avancer, mieux vaut ne pas tenir compte de ceux qui vous freinent. 

C’est le genre de mantra qui ce soir ne me motive plus.

J’ai pris la décision d’arrêter le FlashMob Postal. Je suis épuisée. Je n’y arrive plus. J’ai l’impression de perdre un peu ce qui me donnait envie de gueuler à la face du monde que ce putain de métier est tellement beau qu’il mérite qu’on se batte pour le faire exister aux yeux des autres. Mais ce soir, je n’y arrive plus… J’ai cru aux députés, j’ai cru aux médias, j'ai cru en mes collègues. J’ai passé 6h avec une équipe de France 2 qui au finale ne diffusera probablement pas le reportage de 2min au JT pour cause d’actualité. Parce que le mal-être des soignants n’est plus d’actualité. Je me demande même s’il a au moins été un jour… Nos conditions de travail n'intéressent personnes. Pas même les premiers concernés : les soignants.

Je vais faire une pause. Me recentrer. Lâcher un peu tout ça. Prendre du recul sinon, je sens que je vais perdre cette flamme qui m'aide depuis toujours à m’insurger contre ce que je ne trouve pas juste. Et c’est ce qui forge une partie de mon caractère. Je ne veux pas le perdre…

Mais avant de partir un peu, je voulais te dire merci.

Merci à toi qui a fait partie des 18 000 autres participants des FlahsMob Postaux. Merci à toi d’avoir fermé cette lettre qui a rejoint les 60 000 autres. Merci à toi de m'avoir écrit des mots doux à m’en brouiller les yeux. De m'avoir confié tes conditions de travail qui te font perdre pied. Merci à toi de m’avoir dit « J’ai l’impression de faire quelques chose d’utile pour la 1ère fois en écrivant au Président ». Merci à toi d’avoir été là et d’y avoir cru comme moi. MERCI.

Le FlashMob Postal n’est pas mort. Les courriers existent toujours et ils vous appartiennent. Vous pouvez continuer de les envoyer, vous pouvez en rire, souffler dessus en vous disant que ça ne servira à rien. Ils sont à vous. Ils sont pour vous.

On trouvera une solution. Celle-ci n’était peut-être pas la bonne c'est tout, mais on trouvera. Parce que j’ai envie d’y croire encore un peu.

Je vous embrasse. Prenez soin de vous. Ne vous oubliez pas. ❤

PS : Je vais continuer de faire ce que je fais depuis le départ sur cette page : écrire quand j'en ressens le besoin, sans pression ni rien. Si dernièrement il n'y a plus d'article c'est uniquement parce qu'il ne se passe "rien" dans mes tournées qui méritent d'être partagées ici. Pour les déçus qui se sont permis de me dire que j'avais oublié pourquoi j'avais ouvert ma page je répondrais que j'écris avec le cœur et que c'est un organe pour lequel je ne peux rien imposer. Pour l'instant il est tourné vers un livre et je me plais à passer du temps à l'écrire...

PS bis : Je continuerai de partager vos brèves rien qu'à vous avec votre mal-être dedans. Parce que vos mots sont beaux et douloureux et parce qu'ils ont besoin d'être lu pour ne pas être oubliés. J'ai du retard, j'en suis navrée. Je reçois une trentaine de messages par jour, je suis un peu dépassée

PS ter : 🧡

mercredi 28 novembre 2018

dimanche 11 novembre 2018

En même temps, ça m'arrange.



5 jours travaillés, 28 vaccins contre la grippe injectés. La campagne de vaccination commence bien...

- 2€36 la prise de sang au lieu de 6€08 ? Je comprends pas...

J'ai expliqué à mon patient le principe des soldes annuelles des libéraux. "1er soin facturé à 100%, le 2ème à 50% et les 3ème et suivants sont gratuits". You-Pi-♡

J'ai regardé la facturation de mes vaccins. Un tiers réalisés seuls et facturés 6€30 brut (3€15 net), un tiers réalisés en même temps que d'autres soins (m'obligeant à facturer mes prises de sang 1€18 net et mes injections 0€78 net, voire rien du tout en cas de 3ème acte mais en payant de ma poche le matériel utilisé) et un tiers réalisés gratuitement car dans le cadre d'un forfait AIS (aide à la toilette, surveillance hebdomadaire...). Gratuit pas cher, chouette.

Mon patient a été sympa, il m'a dit : "L'année prochaine, je prendrais deux rendez-vous pour que vous soyez payé de tout !". Il est sympa, mais il a la mémoire courte, car l'année dernière il m'avait promis la même chose.

Et puis il a ajouté :

- Mais en même temps, ça m'arrange...

"Ça m'arrange".

Bah oui, ça l'arrange. Comment lui en vouloir et lui expliquer que moi, ça ne m'arrangeait pas vraiment...

J'ai imaginé mon patient l'année prochaine au comptoir de sa pharmacie en train de réfléchir deux secondes à la proposition de son pharmacien de le vacciner dans l'officine. Et son "En même temps, ça m'arrange" et sa promesse de revenir me voir deux fois se transformera en un vaccin dans le bras dans l'arrière boutique d'une pharmacie. Parce que ça l'arrange...

Tu me diras, "oui mais vu ce que tu es payé, ça n'est pas bien grave !" Je te répondrais que ce n'est pas qu'un soin parfois mal rémunéré. Cette semaine, les vaccins m'ont permis de rencontrer six nouveaux patients qui ne me connaissaient pas. J'ai pu leur présenter mes soins, le cabinet et la possibilité d'y faire leurs prises de sang. Mes vaccins contre la grippe, c'est un peu la carte de visite que la sécu m'interdit d'utiliser...

Et c'est à se demander si ça, ça ne les arrange pas non plus...

samedi 20 octobre 2018

FlashMob Postal #2 : #InfirmieresEnMarche





Monsieur le Président de la République,

Je m’appelle Charline et je suis infirmière libérale dans le département du Maine et Loire. Si je vous écris aujourd’hui, c’est parce que j’ai le sentiment de ne pas être entendu. Alors un peu naïvement, je me suis dit que si vous n’étiez pas en mesure de m’écouter, vous alliez peut-être me lire. Le métier d’infirmièr·e va mal. Mais ça, vous le savez malheureusement déjà car nous manifestons de temps en temps notre colère dans la rue, dans nos services, dans nos écoles ou aux volants de nos voitures de libéraux·ales. Je dis « Malheureusement » car je ne comprends pas pourquoi un Gouvernement s’acharnerait à ne pas écouter ses infirmier·e·s épuisé·e·s. Monsieur Macron, vos soignant·e·s aimeraient, pour une fois, être réellement considéré·e·s.

Nous avons le sentiment de perdre ce qui fait le cœur de notre métier : l’humanité. La surcharge de travail et le personnel insuffisant entrainent un épuisement, une frustration et un mal-être des soignant·e·s diplômé·e·s ou en cours d’apprentissage. Nous enchainons les soins, pansons sans écouter, soignons sans prendre le temps avec nos patient·e·s ou nos étudiants et nous partageons ce triste sentiment que l’essence même de notre métier est devenue une perte de temps. Nous sommes tiraillé·e·s entre nos convictions d’humain·e·s, nos valeurs de soignant·e·s et la charge de travail qui doit être réalisé dans un temps imparti évidemment trop court. Le « Têtes-Mains-Cul » est devenu la norme en maison de retraite, nous n’avons plus le temps d’être là pour l’autre et j’ai moi-même parfois le sentiment de ne plus être à ma place et de déshumaniser mes soins.

Vous vous targuez d’avoir mis les comptes de la sécurité sociale à l’équilibre, mais à quel prix ? Le manque de personnel oblige les infirmier·e·s à revenir sur nos repos. Les étudiant·e·s sont parfois vu·e·s comme de la main d’œuvre bon marché pour compenser les trous dans les plannings ou les arrêts non remplacés. La charge de travail donne l’impression de nager à contre-courant. On essaie de soigner au mieux et on s’épuise en essayant d’éviter le pire. Nous avons besoin de collègues en plus et d’une revalorisation du ratio soignant-soigné pour nous permettre d’accueillir au mieux une population qui a évolué (vieillissante, polypathologique, parfois précaire…) et qui est malade tous les jours de la semaine y compris le week-end où nous travaillons à flux tendu. Les alternances jour-nuit nous déphasent, la cadence nous fatigue, nos corps s’épuisent de porter et de supporter l’humain. Nous souhaiterions une juste reconnaissance de la pénibilité de notre travail. Parce que les cadres deviennent des manageurs et les chefs d’établissements des gestionnaires, les patients sont vus comme des clients et les soignant·e·s comme de simples exécutant·e·s du soin rentable. Merci la T2A. Oui, les infirmier·e·s soignent en nageant à contre-courant et certain·e·s ont du mal à demeurer à la surface. Epuisement (avec des départs de l’hôpital en moyenne 5 ans après le diplôme), Burn-out, suicides… C’est une réalité, les infirmier·e·s meurent parfois d’être si peu considéré·e·s.
Les 90 000 étudiant·e·s infirmier·e·s de France ne font malheureusement pas exception et ils subissent de plein fouet les mauvaises conditions de travail de leurs encadrant·e·s. Selon une étude de la FNESI, 40 % d’entre eux consommeraient des psychotropes et un tiers serait sujet à des crises d’angoisse. Un·e étudiant·e sur deux déclare avoir vu sa santé physique et psychologique se dégrader au cours de sa formation. Comment apprendre à prendre soin, si on ne prend pas soin de ceux qui apprennent ? Pour soigner, il faut que nous, infirmier·e·s, soyons en bonne santé physique et psychologique. Pour bien enseigner, il faut que nous, encadrant·e·s, soyons en capacité d’apprendre à nos étudiant·e·s à panser avec le cœur plutôt qu’à penser avec rancœur. Nous voudrions une nouvelle formation des Directions d’établissements ainsi que des cadres de santé à la prise en charge des risques psychosociaux, des techniques de management qui favorisent le bien-être au travail pour s’attaquer efficacement au burn-out des soignant·e·s. Une meilleure écoute des problèmes physiques avec de vraies propositions de reclassement et une reconnaissance des congés pour longue maladie.

Nous avons été très étonné·e·s de ne pas avoir trouvé notre place dans votre plan « Ma santé 2022 ». Nous sommes pourtant 680 000 infirmier·e·s en France, soit la moitié des soignant·e·s. Nous nous efforçons de faire évoluer notre profession en mettant en avant son expertise, ses valeurs et son intérêt certain dans la prévention des risques, l’éducation à la population, le maintien des personnes âgées à leur domicile et le développement de l’ambulatoire. Nous sommes présent·e·s partout où il est nécessaire d’être soigné et nous sommes nécessaires au bon fonctionnement du système de santé. Mais vous n’avez pas parlé de nous. C’est à se demander si vous n’ignorez pas tout de notre métier, y compris le montant de nos rémunérations. Notre salaire est en dessous de la moyenne de celui des infirmier·e·s de la communauté européenne. Nous exerçons pourtant le même métier avec les mêmes risques et les mêmes responsabilités. Nos étudiant·e·s sont peu rémunéré·e·s au risque de les plonger dans de réelles difficultés financières. 28€ par semaine en première année et 50€ en fin de formation sans aucune compensation financière lorsqu’ils.elles travaillent de nuit ou le week-end. La précarité subie par certains étudiants les oblige parfois à arrêter leur formation.
Le libéral est parfois vu par les infirmier·e·s de structure comme une échappatoire à la dureté du travail en service et comme un moyen d’être mieux rémunéré. Mais les charges, les contrôles parfois injustifiés de la sécurité sociale et la nomenclature incohérente et obsolète (les obligeant souvent à travailler gratuitement) épuisent, dégoutent et mettent en colère beaucoup d’entre nous. Saviez-vous qu’une heure de nursing rapporte moins que le SMIC à une infirmier·e libéral·e ? Saviez-vous que ces mêmes infirmières sont parfois obligées de souscrire un emprunt pour se payer un congé maternité parce que la compensation d’arrêt d’activité ne leur permet pas de payer leurs charges ? Saviez-vous que les libéraux·ales partiront après une trentaine d’années de cotisation avec une retraite de 700€ brut en moyenne ?  Si vous ne le saviez pas, une lettre écrite par des infirmier·e·s libéraux·ales vous a également été envoyée pour tout vous expliquer. Nous souhaitons une juste reconnaissance des contraintes et de l’importance de notre présence dans le schéma national de sécurité sanitaire au même titre que les forces de l’ordre. La reconnaissance de tous les nouveaux soins non énumérés et non codifiés et une réévaluation de la nomenclature de la sécurité sociale régissant la facturation des libéraux·ales et ne permettant pas actuellement une prise en charge cohérente des soins à domicile.

La profession est partout mise à mal et l’on compte souvent sur la conscience des professionnel·le·s et des étudiant·e·s en soin pour tenir le service minimum. Mais jusqu’à quand ? Monsieur le Président, l’économie ne devrait pas être priorisée au détriment de l’humain. La richesse de la santé ne se trouve pas dans la rentabilité. Nous attendons du Gouvernement qu’il accepte enfin une discussion raisonnée avec nous, acteurs de terrain et syndicats pour nous expliquer sans mépris les contraintes qui sont les siennes et en écoutant les nécessités qui sont les nôtres. Il n’y a pas de petites revendications lorsque l’on est un demi-million à les clamer, il n’y a pas de petite considération quand c’est tout un Gouvernement qui décide enfin de nous écouter. Je me joins donc au mouvement de mes collègues infirmier·e·s et c’est avec une certaine consternation que je vous enverrai cette lettre aussi souvent que cela sera nécessaire pour réveiller les consciences.

Je vous prie de croire, Monsieur le Président, en l’expression de ma respectueuse considération.

Charline,
#InfirmièresEnMarche


Ce message est un courrier type que vous retrouvez au format Jpeg, ci-dessous. Cette lettre écrite pour dénoncer les conditions de travail des infirmières est destinée au Président Macron. Elle est envoyée en masse tous les 15 jours depuis le 8 octobre 2018. Tout est expliqué sur le blog : ici !


page 1

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La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...