- Bah oui, ‘pis y’a Trump qui a été élu là…
J’ai relevé les yeux du pied
abîmé que j’étais en train de panser et j’ai regardé ma patiente. La très
vieille dame était assise en face de moi sur sa chaise en osier et elle me
montrait en tapotant du bout du doigt la première page du journal local :
« Manifestations aux Etats-Unis après la victoire de Trump ».
Celle
qui frôlait les quatre-vingt-dix ans semblait inquiète de ce qui se passait de
l’autre côté de l’océan. Tout là-bas, sur ce petit bout de terre que ma vieille
bretonne avait dû souvent imaginer enfant alors qu’elle regardait le large en
jouant sur ses côtes de granit rose.
Je lui ai simplement répondu que
la mode semblait être aux dirigeants blonds et qu’on ferait mieux de se méfier
pour nos prochaines élections. Mais pour être honnête j’en avais marre
d’entendre ce mot.
Trump, Trump, Trump.
On dirait une espèce de spasme
abdominal ou de plus bas, on ne sait plus bien. On dirait une espèce de tic
verbal digne d’une Tourette agitée. Trump, j’en avais marre. Trump, j’en avais
eu ma dose depuis hier. Et à l’instar de cette pluie et de ce vent glacial qui
est pourtant le même tous les ans et que mes patients adorent commenter tout au
long de ma tournée, j’avais le droit ce matin à Trump. Et à vrai dire, j’aurais
pour une fois préféré parler météo et expliquer le pourquoi du comment de ma
frange décoiffée plutôt que de parler de l’élection d’un président qui n’était
pas le mien et qui n’était pas mieux coiffé.
Ce matin, je me suis regardée
dans le miroir de ma salle de bain et j’y avais vu ma tête des mauvais jours.
Un œil plus ouvert que l’autre passablement agacé par les lumières censées me
donner un teint clair et net. Tu parles. J’écoutais d’une oreille encore
endormie France Inter et la voix du journaliste censée me
réveiller : « Trump… Le choc. Trump… Manifestations. Trump… veut
suspendre l’Obamacare… ». J’en ai eu marre, j’ai coupé la radio et je me suis
connectée sur Facebook. Des articles sur Trump, des statuts parlant de Trump,
des photos de Trump… Ras-le-bol. J’ai éteint mon téléphone.
Sans déconner, déjà
que je ne regarde pas la télévision, si je supprime la radio et internet, je
n’ai plus qu’à agrandir mon troupeau de chèvres et me lancer dans la
fabrication de fromages après avoir délocalisé mon cabinet infirmier et ma
famille dans le Larzac.
Depuis hier, les médias
remplissaient leurs journaux et leurs images à grandes doses de Trump. Avant
même son élection, on ne parlait que de celui qu’on imaginait ne pas être à la
tête des États-Unis. Ce même jour, le 8 novembre j’étais dans la rue avec des
milliers de mes collègues pour essayer de faire entendre le malaise ressenti
par toute une profession de soignants. Sur Paris par milliers, dans les grandes villes de
France par centaines nous étions là pour nous battre pour nos conditions de
travail et pour l’accès au soin de nos patients.
Deux minutes 30.