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Cinq minutes que je suis au téléphone
avec le service dont ma patiente est sortie. La nana que j’ai eu bout du fil me
fait régulièrement patienter en me balançant sans prévenir l’énervante musique
d’attente quand ce n’est pas le son de ses discussions avec ses collègues qu’elle
m’impose. « Tu pars en vacances ce soir toi ? ». Bordel, si
elle savait comme je m’en fous. Je bois une gorgée de thé dans la tasse posée
sur la table basse devant moi. Il est froid et c’est con, mais ça m’agace. Peut-être parce
que je n’ai pas fait ma sieste. Peut-être parce que j’en suis à mon onzième
jour travaillé non-stop. Peut-être parce que moi, mes vacances, elles sont déjà
passées...
- Ca a été faxé à la pharmacie !
Quoi ? Je venais de reprendre une gorgée de thé et j'ai manqué de m’étouffer. Je la fais
répéter. Mon ordonnance d’actes infirmiers serait faxée à la pharmacie de
ma patiente à douze kilomètres aller-retour de mon cabinet. . Quand j’ai demandé à la personne que
j’avais au téléphone pourquoi mon ordonnance de réfection de pansements (dont j’avais pourtant demandé l’envoi par la poste une semaine plus tôt) avait été
faxée à la pharmacie, elle m’a répondu : pour gagner du temps.
Du temps et de la patience, je
commençais sérieusement à en manquer. Je lui ai demandé si on pouvait carrément
lever le secret professionnel autour des soins de ma patiente en envoyant
également la feuille de transmissions infirmières qui va bien au pharmacien, parce que je ne
l’avais pas reçu non plus. La collègue à l’autre bout du téléphone s’est
offusquée : « La patiente est bien sortie avec un courrier médical,
non ? ». J’ai confirmé. Une vingtaine de lignes écrit par un médecin
pour un autre médecin expliquant pourquoi ma patiente était passée par les
soins intensifs avant d’être hospitalisée trois semaines chez eux. Cette
patiente chez qui j’allais chaque jour depuis deux ans et qui a disparu du jour au lendemain de mes
tournées de soins après un gros malaise à domicile. Et puis, plus de nouvelle ni d’elle
ni du service qui ne m’avait pas appelé pour me prévenir de sa sortie. La
semaine dernière, ma patiente m’a appelé :
- Je suis rentrée chez moi
en début d’après-midi. Il faudrait repasser demain matin…
J’ai écarquillé de grands yeux qu’elle
ne pouvait voir, lui ai posé deux, trois questions. Ce n’était pas la grosse
forme, quelques pansements à refaire, mais elle était soulagée d’être de retour
chez elle, et moi d’avoir enfin de ses nouvelles. Quoique, un peu dégoûtée de
ne pas avoir été prévenue par le service qui aurait pu en profiter pour me
faire un rapide topo de la situation par téléphone. J’ai ouvert mon agenda, effacé des patients dont les noms étaient écrit au crayon de bois pour les décaler
autour de midi en croisant les doigts pour qu’ils ne me reprochent pas un
retard contre lequel je ne pouvais rien. J’ai noté le nom de ma patiente sans
trop savoir ce qui m’attendait chez elle en plus de sa toilette habituelle qui
ne durait jamais plus de trente minutes.
Le lendemain, après une heure de
soins, je suis sortie en colère de chez elle. Une sortie de merde, voilà ce que
c’était. N’ayons pas peur des mots, parce que je peux vous assurer que je me
suis trouvée littéralement dedans, la merde. Une patiente perdue dans la prise
des ses nouveaux traitements avec laquelle il fallut reprendre et réexpliquer l’ordonnance.
Six pansements, rien que ça, dont deux nécessitant des irrigations et la pose de
mèches. Aucune ordonnance de prescription de matériel : j’ai vidé ma mallette
dans laquelle je garde heureusement toujours une petite réserve. A mon arrivée
chez elle, j’ai cherché, sans trop y croire, une feuille de transmissions infirmières. Un bout de papier ou même un post-it sur lequel serait noté ce qui aurait été
fait pour elle depuis trois semaines, les derniers soins effectués et ce qui me
restait à faire. Mais il n’y avait rien. Rien, même pas une ordonnances d’actes
infirmiers pour que je puisse facturer mes soins et être payée (au moins des deux pansements méchés puisque les quatre autres passent en "gratuits"). J’ai retrouvé
une patiente recouverte de six pansements saturés d’un œdème de plus de quinze
kilo qui n’en finissait pas de couler… Et démerde toi avec ça. C’est tellement récurant
et agaçant ce genre de situation, que c’est, je crois, ce qui pourrait un jour
me faire arrêter les soins.
En libéral, je suis habituée à
gérer dans l’urgence, à faire avec les moyens du bord. Mais là, de la part de
mes collègues de service, j’ai vraiment eu l’impression d’être mal considérée.
D’être vue comme la cinquième roue du chariot de soins…
L’après-midi, pendant
ma pause, j’ai appelé le service pour leur demander où était mes papiers de sortie. Mon ordonnance d’actes
infirmiers, celle pour le matériel que j’avais dû intégralement avancer, ma
feuille de transmissions pour mon recueil de données et le dernier diagramme de
soins pour savoir où en était ma patiente dans les siens. L’infirmière que j’ai
eu au téléphone a pris un grande inspiration et elle m’a répondu « on ne
fait pas ça dans notre service, vos transmissions là… » et quand je lui ai
demandé pourquoi, elle m’a répondu :
- On n’a pas le temps.
Bam, pas le temps. Pas le temps
de bien coordonner les soins de son patient sortant. Pas le temps d’éviter à
une collègue de se retrouver dans la merde ensuite. Pas le temps de permettre la
bonne continuité des soins...
J’ai travaillé en service, je sais ce
que c’est que de courir. Mais j’ai le souvenir que, si j’avais transféré une
patiente de mon service vers un autre sans faire mes transmissions à la
collègue qui allait s’occuper d’elle, je me serais fait pourrir. Parce qu’assurer
la bonne continuité de ses soins même en dehors de l’hôpital, c’est une base et
le manque de temps ne devrait pas être un argument pour passer outre. Et moi,
là, j’ai vraiment eu l’impression de faire de la merde avec ma patiente parce
qu’on m’avait mis la tête dedans. Est-ce parce qu’on est plus dedans les murs, est-ce
parce qu’on ne porte plus la blouse que nos soins et notre travail auprès de
nos patients semblent moins compter ? Est-ce parce qu’une fois qu’on quitte
l’hôpital pour devenir libérale, on a parfois le sentiment de ne plus être estimé par nos collègues ?
Quand un de mes patients part en
vacances se faire soigner ailleurs, quand il quitte son chez lui pour aller en
maison de retraite ou de repos, quand je peux anticiper une hospitalisation,
mes patients partent toujours avec une enveloppe dans laquelle j’ai glissé diagrammes
de soin, ordonnances en cours et feuille de transmissions avec mes coordonnées
et un « bon courage pour la suite des soins ! » à la fin de mon
courrier. C’est la base. C’est normal et j’aimerai tellement que ce soit le
cas partout pour que les libérales arrêtent de se sentir comme la cinquième roue
complètement bancale d’un système de soin qui oblige ses soignants à courir partout et
à répondre à leurs collègues à domicile « on n’a pas le temps pour vous ».