- Tout va bien madame la Ministre !
C’est certainement ce que vous aimeriez entendre dans nos bouches de
soignants madame Buzyn ? Parce que c’est vraiment l’impression que j’ai eu
en vous écoutant intervenir ce matin sur France Inter dans l’émission de
Nicolas Demorand. Vous faisiez suite à la grève inédite de Lariboisière
(le personnel des urgences s’est mis en arrêt maladie) en expliquant que « ça
n’était pas bien ». Pas bien d’avoir ajouté du travail aux autres (à ceux qui ont dû
gérer les patients déplacés vers d’autres hôpitaux ou services) sans même vous poser la question du pourquoi les soignants de ce
service d’urgence en étaient arrivés à cet extrême là : se mettre en arrêt
pour faire entendre qu’ils étaient malade de soigner.
« Il faut surtout lui redonner de l’espoir… »
Ça, ce sont vos mots pour essayer de rassurer ce papa inquiet qui appelait la radio pour vous parler du cas de sa fille, infirmière. Sans vous voir, je vous ai senti vous crisper. Les infirmières, encore… Ce père vous explique que sa fille de 23 ans, diplômée depuis seulement un an, est
épuisée. Épuisée de parfois devoir faire trois heures supplémentaires, parce que dans son service elles ne sont que deux infirmières alors qu'elles devraient être trois ou quatre, que sa fille ne rentre qu’à minuit chez elle et qu'elle est si mal de ses conditions de travail qu’elle ne peut plus dormir sans somnifères. Après avoir passée trois ans à apprendre un métier et seulement un an à le pratiquer elle est au bord du burn-out. Pas parce qu'elle n'aime pas son travail d'infirmière non, parce qu'elle n'aime pas les conditions dans lesquelles elle l'exerce. Et là, j’ai tendu l’oreille. Par la fenêtre déjà, parce que la patiente qui m'attendait, aussi
adorable soit-elle, déteste tellement mes retards qu’elle me dit que je suis « en
avance » quand je suis à l’heure. J’ai tendu l'oreille pour
écouter ce que vous alliez répondre à ce papa très inquiet qui aurait finalement pu être le mien :
- Et il faut surtout lui redonner de l’espoir…
C’est beau, mais on veut pas de l'espoir, on veut juste pouvoir bien soigner nos patients.... Avant d’enchaîner sur un « il y a tout un champ de
possibilités ! » tel un beau slogan pour nous faire bouffer des gâteaux à
nous en étouffer. Oui, j'ai toussé parce que vous n’offrez
à ce papa qu’une solution pour sa fille : bouger. Bouger vers le libéral (mais en
oubliant de dire qu’il faut travailler 2 ans et demi à temps plein en structure
avant et qu’on ne s’installe pas en claquant des doigts), vers les PMI (sans
penser à préciser qu’il faut avant un diplôme universitaire pour devenir
infirmière puer’ ou un gros bagage d’expériences impossible à acquérir en
sortie de diplôme si on veut y intégrer un poste d’IDE « classique »)
ou vers les nouvelles IPA (Infirmières en Pratiques Avancées dont les premières
débutent tout juste leur formation sans savoir à quelle sauce elles vont être
mangées). La réponse que vous avez donné à ce papa était en
gros (je vous résume hein, parce que vous semblez avoir des difficultés à
exprimer vos idées) : « Si votre fille infirmière n’est pas
contente de ses conditions de travail à l’hôpital et bien, qu’elle s’en aille !
Y’en aura bien d’autres pour la remplacer... ».
Ce discours là madame la Ministre, vous ne l’avez pas inventé. Je suis
désolée pour vous, mais vous n’êtes pas très originale. Vos prédécesseurs nous l’avaient
soufflé bien avant vous. J’ai moi-même fait partie de celles qui n’en pouvaient
plus et qui ont quitté l’hôpital en espérant que quelqu’un de bien prendrait ma
place… Si tant est que mon départ soit remplacé, ce qui n’est pas toujours le
cas, vous le savez bien. Je suis fatiguée de tant de condescendance de votre
part. Pourtant, j’ai eu espoir à votre arrivée au Gouvernement. Sans vous
connaitre au départ je me suis dit « Tiens, un médecin Ministre ! On
va peut-être ENFIN être entendu… ». Bon j’ai aussi cru qu’il me suffisait
de mettre mes cours de l’école d'infirmière sous mon oreiller pour les apprendre, que je
gagnerais une fois libérale plus du SMIC pour aider mes patients à rester propre
chez eux et que j’arriverai à terminer un mois de soins sans avoir un seul
rejet de la CPAM… Il faut croire que je suis trop naïve.
Et puis, je vous entendais sourire dans ma radio ce matin, comme vous le faites souvent. Et ça m'a agacé. C’est
con, parce que moi je souris beaucoup au travail et généralement je sens que
ça fait du bien à mes patients (même à ceux qui gardent leurs sourires au fond
d’eux-même vous voyez). Mais vous, quand vous souriez en disant qu’utiliser les arrêts
maladie pour faire entendre un mal-être c’est mal, quand vous souriez à un papa
en disant qu’il y a tout un champ de possibilités à sa fille sous somnifère pour
se barrer de son service, quand vous souriez en affirmant que votre loi santé
vise à améliorer les conditions de travail à l’hôpital alors que nous,
soignant, savons que c’est faux… Moi, ça me fait perdre mon sourire. Vos
sourires n’apportent aucune douceur à vos propos, ils ne font qu’augmenter l’agacement
des soignants qui ont l’impression d’être pris pour des cons.
Vous avez créé une génération d’infirmières cassées, parfois trop
épuisées pour oser partir soigner ailleurs pour tenter de recommencer en mieux
alors qu’elles ont connu le pire. Vous persistez à ne pas écouter ceux qui
soignent par défaut et par dépit parce que vous ne nous donnez pas les moyens
de bien soigner. Vous êtes la conséquence de tout ça. Vous aurez beau accusez
les gouvernements précédents d’avoir mal fait. Vous êtes la Ministre de la Santé
que j’ai écouté ce matin dans ma voiture et vous n’avez fait que m'exaspérer davantage.
Je suis triste pour mes collègues de service de voir que leurs mauvaises conditions de travail restent si peu considérées. Je suis dépitée pour les patients
que je récupère en bout de chaîne à domicile et qui pâtissent des mauvaises
conditions de soins que vous maintenez en place. Non, rien ne va bien Madame la Ministre.
Alors, au lieu de sourire et de nous expliquer qu’on peut aussi partir
si nos conditions de travail ne nous conviennent pas : donnez-nous les
moyens de rester et arrêtez de nous donner des raisons de nous barrer !