jeudi 25 août 2016

Coup de gueule infi' #19 : "Combien faudra-t-il de morts Marisol ?"




Bonjour Marisol, comment vas-tu ?

Oui, tu remarqueras que je te tutoie et que je m’inquiète de ton état. Un peu comme je le fais avec mes patients, ceux que j’apprécie bien. Mais ce n’est pas vraiment la sympathie qui me fait te dire « tu », c’est plutôt l’émotion qui me ferait oublier le protocole tu vois. Je me dis qu’en te tutoyant et en te demandant comment tu vas, tu t’intéresseras enfin à moi, enfin à nous, les infirmiers. Je t’imagine déjà lever les yeux vers les moulures du plafond blanc de ton bureau en te disant surement « Mais qu’est-ce qu’ils ont encore ? Pourquoi vont-ils râler cette fois ? ». Pour trois fois rien, je te rassure… Enfin juste pour deux trois morts, cinq pour être précis.


Je viens de passer sur ton compte Twitter et tu sembles toute peinée du décès de Sonia Rykiel. C’est vrai que c’était une chouette nana qui a sacrément œuvré pour la mode en France et j’aurais vraiment adoré qu’elle fasse quelque chose pour nos blouses blanches mal taillées et pour ce code barre ingrat qu’ils persistent à nous coller sur le haut de nos pantalons à l’élastique trop serré. Mais Madame Rykiel avait d’autres préoccupations dans son milieu de la mode, un peu comme toi dans ton ministère… 


13 juin, 24 juin, 5 juillet, 23 juillet, 13 août… 

Ce ne sont pas les dates de sortie de Pokemon Go, celle de la détérioration des baies vitrées de l’hôpital Necker ou encore celle de l’arrivée sur nos plages du Burkini qui avaient réveillé chez toi un réel intérêt, non. A ces dates, cinq infirmiers se sont « simplement » donné la mort, trois fois rien. 
Je dis « simplement » parce que ça ne t’a vraisemblablement pas touché, enfin pas au point d’en faire un Twitt’ de 140 caractères en tout cas. Ils se sont suicidés parce que leurs conditions de travail étaient telles qu’il leur était devenu inenvisageable de continuer de soigner, et de vivre. Et ils en sont mort, cinq fois cet été. Cinq morts Marisol. Ils ne s’appelaient pas Sonia, on ne connait d’ailleurs pas leur prénom, c’était simplement des soignants, des blouses blanches mal taillées. 


Alors je sais ce que se disent certaines personnes (c’est peut-être ce que tu te dis toi aussi finalement) : « S’ils ne supportaient pas leurs conditions de travail : ils n’avaient qu’à démissionner ! S’ils semblaient si fragiles : ils auraient dû faire un autre métier ! ». Je l’ai entendu, je te promets, je l’ai entendu. Mais au-delà de la tristesse d’entendre ces paroles dénouées de logique et bourrées de jugement, ce qui m’accable le plus Marisol, c’est ton silence. C’est de ne rien entendre de toi, notre Ministre de la Santé. Pas un mot, ou deux, ou trois, pour exprimer une peine qui ferait écho à la nôtre... Combien faudra-t-il de morts Marisol ? Combien d'infirmiers vont se suicider avant que tu trouves opportun de t'exprimer enfin ?


Alors oui, Sonia Rykiel est morte et j’en suis navrée crois moi… Mais pourquoi son décès mériterait quelques caractères sur Twitter alors que tu persistes à conserver le silence face à la mort de tes soignants ? J’ai finis par me dire qu’il faudrait mieux être une baie vitrée qu’une infirmière, un Pokemon plutôt qu’un soignant ou que je ferais mieux de me balader en burkini sur une plage pour réussir à attirer ton attention…


Je ne reviendrais pas sur les sujets qui fâchent et qui m’ont souvent fais grincer des dents à ton égard. Sur le développement des HAD qui me fait dire que tu cherches à enterrer les infirmières libérales toujours un peu plus profondément dans le trou de la Sécu’. Je ne te reparlerais pas du tiers payant généralisé et de ta loi santé dont tu es si fière et que tu sembles brandir comme une pancarte au-dessus de ta tête pour mieux nous en mettre un bon coup derrière la couenne, non. Je veux simplement te parler d’humains en souffrance. Te parler d’humaine à humaine. 
 

Parce que lorsque je lis dans ton dernier article sur le fameux burkini que « Ce n’est pas la République pour laquelle je me bats. », parce que lorsque je t’écoute ne rien dire à tes blouses blanches en deuil, parce que quand j’entends ton silence et ton manque d’empathie et de considération pour tes soignants, je me dis que « Ce n’est pas la République pour laquelle je suis allée voter. ». 

J’ai de la peine, vraiment, j’ai de la peine que tu n’en ais pas...




Retrouvez mon autre coup de gueule publié récemment : " Moi, infirmière. "

La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...