mercredi 30 juillet 2014

On se sent seule dans sa voiture… Et dans sa profession. (Lettre ouverte à Marisol Touraine)





- Et sinon, vous avez entendu parler de l’infirmière libérale qui s’est faite rouée de coups par quatre mecs cagoulés, en pleine matinée alors qu’elle était en tournée dans un quartier sensible ?

C’était une question simple au détour d’un repas de famille, le genre de faits divers que l’on relate parce que le besoin d’en parler se fait sentir. Mais de réponse, je n’ai eu qu’un silence et des yeux écarquillés…

- Et celle qui a été accueillie par deux coups de fusils dans le thorax par un de ses patients, et qui est morte sur le coup… non  plus ?!

J’étais sidérée. Une de mes consœurs venait d'être assassinée et une autre sévèrement agressée, toutes deux en pleine fonction, à 4 jours d’intervalle et mes proches n’étaient pas au courant. Et la raison était simple : personne n’en a parlé ! Personne dans les grands médias. Personne dans le Gouvernement.
Alors que sur les réseaux sociaux utilisés par les infirmiers libéraux, sur les groupes de syndicats et pages Facebook, sur les blogs, nous en parlons. Nous, nous savons. Mais qu’en est-il des autres ? Des non soignants ? Qu’en est-il des chaines de médias pourtant si friandes de ce genre de « fait divers », qui ne mérite décidément pas ce nom ? Qu’en est-il de vous Marisol Touraine, notre Ministre des affaires sociales et de la Santé ? 

Je vous ai vu sur I-télé annoncer vos sincères condoléances aux familles des passagers du vol MH-17 abattu en Ukraine. Je vous ai vu parler du Chikungunya aux Antilles. Je vous ai vu annoncer vos réformes ou encore revenir sur le décès de l’enfant en colonie de vacances. Nous étions le 21 juillet 2014, ma consœur reposait depuis 24h dans le frigo de la chambre funéraire... Et madame la Ministre, vous n’en avez pas parlé.

Il y a peu, toute la France s’est émue, à raison, de cette professeure des écoles abattue en plein cours le 4 juillet dernier. Aujourd’hui, la France ne sait même pas que l’une de ses infirmières libérales a été sauvagement agressée pendant son travail. La France ne sait pas que l’une de ses concitoyennes soignante a été tuée froidement alors qu’elle soignait son patient. La comparaison est sans doute malheureuse, mais ces deux meurtres le sont bien plus : deux personnes assassinées dans l’exercice de leur fonction. L’une a été reconnu par nos institutions, alors que l’autre attend toujours et reste dans l’ombre du manque de reconnaissance de notre Ministre pour notre profession.

J’ai pensé à ces secondes d’éternité silencieuses, entourant la violence. J’ai pensé à la solitude de ma consœur voyant le canon braqué sur elle et à la seconde précédent le bruit assourdissant de la déflagration. Bang ! J’ai pensé à la solitude de ma collègue couchée à terre recevant les coups lourds et violents, le silence de chaque douleur et ce sentiment de solitude amplifié par l’aide qui ne viendra pas, laissant les poings et les pieds continuer à s’acharner sur elle. Bam !

Trop de souffrance, trop de solitude, trop de silence. 

Deux femmes, deux infirmières libérales, deux soignantes, deux consœurs ont été passées sous silence et c’est toute une profession qui en souffre. Ça ne peut plus durer. J’ai honte du manque de reconnaissance dont vous faites preuve à notre égard, Madame la Ministre. J’ai parfois ce sentiment de solitude qui me prend derrière mon volant, au cours de ma tournée, mais là il n’a jamais été aussi fort. Je suis attristée et en colère que des meurtres, que des agressions sauvages ne puissent, encore à ce jours, ne pas éveiller un minimum d’empathie, un minimum d’égard dans votre esprit.

Madame la Ministre, Madame Touraine, réveillez vous et prenez la parole.

Il y a des jours où savoir que le sentiment de solitude est partagé par toute une profession donne envie de laisser s’exprimer colère et tristesse, en espérant qu’il permettra à certaines instances de sortir de leur silence.

La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...