(A mes
débuts dans le libéral, pendant un remplacement en hyper centre bourgeois)
J’interviens
chez ce couple de patients tous les jours pour les accompagner dans leurs soins
d’hygiène. A eux deux, ils atteignent péniblement les 190 années et leur maison
semble avoir le même âge. Il y fait sombre, on perçoit plus qu’on ne voit. Les
napperons de dentelles recouvrent les repose-têtes des fauteuils. Les horloges toutes figées à un horaire différent
ne semblent plus donner l’heure depuis des décennies. Il y a toujours une
odeur de plat en train de cuire, mais je ne vois jamais de préparation sur la
vieille gazinière. Comme si les murs étaient imprégnés de toute une vie de repas odorants, préparés pour des enfants qui ont quitté les lieux depuis bien longtemps.
Le soin d’hygiène
vient de se terminer et je suis dans la chambre avec la petite dame de 94 ans
pour l’aider à s’habiller. Accroupie auprès d’elle, prête à lui enfiler les bas
que j’étirais entre mes doigts, elle m’annonça tout de go : "Ah non !
Aujourd’hui je ne mets pas mes bas de contention, il fait trop chaud ! … D'ailleurs, je
ne sais pas comment vous faites pour porter CA !".
Son
mouvement de tête et sa moue franchement méprisante m’invitait à regarder mes pieds.
Le « ça »
correspondait à ma paire de chaussures fétiches que je portais quotidiennement :
une bonne paire de boots en cuir.
- Ah ça
Madame, c’est du tout terrain !
Haussement
de sourcils et silence de sa part. Avant qu’elle ne rajoute, comme pour avorter d’emblée toute tentative d’argumentation de ma part : « En plus ce n’est
absolument pas féminin ! », avant d’enfiler ses chaussettes blanches
et une paire de claquettes…
On se retient toujours de donner son opinion, on essaie tant que possible de ne pas émettre de jugement de valeur, on s’en veut parfois de se méprendre... Ce que j’ai pensé à ce moment là ? Que certaines situations me feraient presque passer pour une nonne... en boots !
On se retient toujours de donner son opinion, on essaie tant que possible de ne pas émettre de jugement de valeur, on s’en veut parfois de se méprendre... Ce que j’ai pensé à ce moment là ? Que certaines situations me feraient presque passer pour une nonne... en boots !