Il y a des maisons dans lesquelles
on entre facilement. Des chaumières semblant plus accueillantes. Il y a des
patients avec lesquels on aime passer davantage de temps, même si cette idée
brise la promesse que je m’étais fixée il y a longtemps. Car il faut bien
l’avouer : j’ai des patients avec qui je me lierais bien d’amitié, surtout
elle…
- Oooh ! Comme je suis
contente de vous revoir, ma p’tite infirmière !
De réponse à mon petit surnom, je
suis entrée en lui rendant son grand sourire. C’est le genre de maison où l’on
entre par la porte du garage. Toujours ouverte, prête à accueillir le voisin,
l’ami, les aller-retours du chien ou l’infirmière venue faire sa visite
quotidienne. Ma patiente était dans l’entrée de la cuisine, à peine surprise de
mon arrivée tant le canidé, surexcité de me revoir avait prévenu toute la
famille. Le mini-chien tournoyait avec joie, lâchant à mes pieds
son jouet préféré pour m’inviter à fêter mon retour.
Une fois le rituel du chien
expédié, je me dirigeais vers ma patiente pour la saluer, respirant au passage l’odeur si particulière qui habitait cette maison.
Je ne m’étais absentée pourtant que quinze jours, le temps de profiter de
quelques vacances. Mais la maitresse semblait tout aussi heureuse que son chien
à l’idée de me revoir. Et je dois avouer que ce sentiment était partagé.
Il faut dire que cette patiente est spéciale. Elle est entrée rapidement dans la case « chouchou » dont seuls quelques patients ont le privilège ( si tant est que cela en soit un pour eux !).
Les débuts ont pourtant été difficiles tant l’épreuve qu’elle avait à traverser semblait insurmontable. Elle menait d’une poigne de fer un combat contre la récidive de son cancer. Je menais le mien contre les plaies de son sein, deux fois par jour, depuis des mois. Présente depuis le début à ses côtés, je combattais, à ma manière, un peu son cancer. Je la surnommais « ma petite amazone », mais ça, elle ne le savait pas.
Les débuts ont pourtant été difficiles tant l’épreuve qu’elle avait à traverser semblait insurmontable. Elle menait d’une poigne de fer un combat contre la récidive de son cancer. Je menais le mien contre les plaies de son sein, deux fois par jour, depuis des mois. Présente depuis le début à ses côtés, je combattais, à ma manière, un peu son cancer. Je la surnommais « ma petite amazone », mais ça, elle ne le savait pas.
Durant ces heures à se côtoyer
l’une et l’autre, nous nous sommes découverts des points communs. Rapidement,
les discussions ont été simples et évidentes. Nous avons instauré un petit
rituel : prendre un verre de jus de fruits après les pansements du soir
avec comme règle absolue, de ne pas parler de la maladie. Cette règle s’est
imposée d’elle-même sans que nous ayons eu besoin d’en discuter. Il y a un
temps pour tout, voilà tout.
La plupart du temps, ses filles, deux belles
jeunes femmes tout justes sorties de l’adolescence, se joignent à nos
conversations. Nous parlons alors météo, du temps pourri et de cette malédiction
météorologique touchant chacun de mes repos. Nous critiquons avec plaisir les
participants de la téléréalité, du physique improbable de ces blondes plastifiées
et de leur langage à en faire pâlir de honte le Ribéry national. Nous nous
racontons les coups de foudre ressenti pour nos conjoints, nos grossesses, nos
enfants. Toutes ces discussions sont tintées de rires et il est parfois
difficile de repartir tant leur présence m’est agréable. Chaque jour, j’entre
dans une maison où toute une famille m’attend avec le sourire et un plaisir
certain, me donnant le sentiment d’être quelqu’un de spécial.
Alors que je tutoie ses filles en
les appelants par leurs prénoms, je persiste à vouvoyer ma patiente en lui
donnant du « madame » suivi de son nom. Ce vouvoiement, c’est la
dernière barrière qui me reste pour ne pas lui ouvrir totalement mon cœur
d’amie.
- Un jour on ne se verra plus,
parce que les soins seront finis… 'Faudra passer prendre un thé de temps en temps hein !
Elle me le rappelle presque
chaque jour, tant cette idée semble à la fois l’excitée et l’inquiéter. Et même
si je me réjouis de l’imaginer ne plus avoir besoin de mes visites, je suis
nostalgique d’avance. Alors forcément, je me questionne.
Je pratique un métier humain qui
me demande un investissement moral, presque viscéral dans certains cas. Face à
mes patients, je me montre le plus intègre possible. Je ne joue aucun rôle, je
ne redeviens pas moi-même une fois ma mallette de soins posée sur la banquette
arrière de ma voiture. Alors que dans les services, dans leurs chambres couleur
pastel, les patients aux tenues aseptisées ne semblent pas se montrer
réellement tels qu’ils sont ; chez eux, j’ai le sentiment que mes patients
ne mentent pas. La relation soignant-soigné au domicile est d’une simplicité déconcertante
tellement elle est humaine. Elle doit le rester, l’hypocrisie n’y a pas sa
place. Alors parfois, de façon inévitable, le temps et les affinités créés des
rencontres, et des amitiés se lient avec pudeur et respect.
Aujourd’hui, je lui ai prélevé le
bilan pour sa toute dernière chimio’. Alors qu’il y a quelques mois je la
préparais à affronter les futures cures, la chute de ses cheveux, les douleurs,
l’angoisse des examens et de leurs résultats… Il y aura eu beaucoup d’étapes
difficiles à franchir. Autant d’épreuves qui m’auront permis de mieux la
connaitre et de me lier à elle d’une certaine manière. Dans un sens, ce cancer,
ce crabe, ce petit emmerdeur m’aura permis de franchir la porte du garage pour
me permettre de la connaitre. La vie suit parfois un chemin étonnant !
Il y a des jours où de belles
rencontres naissent de grands malheurs, et où la relation de confiance semble
aller au-delà du soin, laissant des amitiés naissantes voir le jour, au fond
d’un verre de jus de fruits.