Dernièrement je suis allée poser
mes fesses sur le velours rouge d’un strapontin de cinéma. Il en fallait
beaucoup pour me motiver à m’enfermer dans ce genre de salle tant ce qui s’apparente
pour certains à un passe temps, peut vite s’assimiler pour moi à un calvaire.
Mais il aurait fallu être difficile pour ne pas sauter sur l’occasion de
découvrir le dernier film d’Olivier Ducray « La vie des gens », un
documentaire traitant de notre métier d’infirmière libérale.
Avant de découvrir le film, j’avais
quelques appréhensions. Je me demandais si l’infirmière choisie n’allait pas
être trop caricaturale et si elle allait donner une belle image de notre
profession. Je me suis demandée si j’allais me retrouver en elle ou si j’allais
passer mon temps à souffler devant des pratiques qui ne me ressemblent pas.
La salle était quasi pleine, j’étais
étonnée. Je ne m’attendais à voir autant de personnes intéressées par cette
spécialité paramédicale de l’ombre. Je me suis installée, la salle s’est
éteinte et je me suis laissée portée par les images défilant sur un rythme lent
mais énergique. Un équilibre professionnel parfait sur lequel jongle l’héroïne
du film : Françoise, une infirmière libérale suivi pendant un an dans son
activité.
Les premières minutes défilent
avec légèreté, et la mise dans le bain en douceur est nécessaire à la
découverte de la « tornade Françoise », une infirmière étonnante en
fin de carrière se déplaçant en trottinette dans les rues de Lyon. Une vraie « étoile
filante » comme aime l’appeler une de ses vieilles patientes. Françoise a
sa pratique du soin qui lui est propre et j’avoue ne pas m’être toujours
retrouvée en elle. Mais peu importe, le but n’était pas là. Peu importe l’idée
que nous nous faisons de sa pratique ou l’image de notre métier que nous
aimerions voir projeté sur les écrans de cinéma, nous ne pouvons qu’être touché
par cette si jolie personnalité de soignante. Et s’il y a bien un point sur
lequel je me retrouve, c’est le besoin, presque viscéral, d’agir auprès de nos
patients avec humanité et respect. Je ne peux que remercier le réalisateur d’avoir
su mettre à jour cette qualité primordiale qui, je l’espère, anime chacune des
quelques 98 000 infirmières libérales de France.
Le film progresse et je découvre
des patients touchants, des personnalités brutes et incroyablement belles. Je
crois que le réalisateur est parvenu à faire ce qu’aucun n’avait réussi avant
lui : rendre beaux des corps vieillis et parfois abimés par la vie et la
maladie, en permettant aux non-soignants d’apercevoir la beauté des gens, comme
le permettrait le regard d’un soignant. Les intérieurs des appartements vieillis
et parfois insalubres, sont filmés avec pudeur, ne laissant apparaitre de temps
en temps que de simples détails. Cette façon de filmer me rappelle mon regard
d'infirmière curieuse lorsque j’entre pour la première dans une maison, où un détail me
permettrait presque de cerner celui que je suis venu soigner.
Monsieur Ducray, je n’ai pas osé me lever pour prendre la parole à la fin de la projection alors que
vous étiez présents avec Françoise à vos côtés. Mais je voudrais vous
remercier. Vous remercier d’avoir mis en avant notre si jolie profession d’infirmière
libérale. Je déplore que notre spécialité ne soit pas plus reconnue et je persiste
à me dire que malheureusement, il vaudrait mieux être infirmière en réanimation
ou en soins palliatifs pour être reconnu de la société et aimé par ceux qui l'habitent. Le métier d’infirmière
libérale ne fait pas rêver et soulève parfois de beaucoup de fantasmes tant il
est méconnu. C’est un tort, car je n’ai jamais été aussi heureuse dans ma
pratique que maintenant que je suis libérale. Je n’ai jamais été aussi sûr de
bien soigner que maintenant que je prodigue mes soins à domicile. Je n’ai jamais été aussi
proche de mes patients que depuis que je les soigne dans l’ombre, bien cachée
derrière l’intimité des portes de maisons. Merci de nous permettre d’être connu
des non-soignants et reconnus des autres soignants. Merci pour votre si joli
film.
« La vie des gens », ou
comment rendre hommage à la beauté des autres et aux soignants qui les entoure.
Un film qui vaut le coup de poser ses fesses sur un strapontin de cinéma !