L’odeur de la mater’… Le genre de
souvenirs qui remonte vite à l’esprit, le genre de madeleine de Proust dont je
me serais bien passé. Je regarde encore et encore mon ticket d’ordre d’arrivée
bêtement, comme pour vérifier que j’avais bien mémorisé le numéro de passage,
que j’avais déjà lu douze fois. "209". Ça me rappelle la sécu' et combien ce
système de drainage de patient est impersonnel. Va falloir encore être patiente
et rester le cul vissé sur ce banc en métal. Même pas de quoi se refroidir le
périnée alors qu’il fait une chaleur de vache.
Il y a du monde. On est serré les
uns contre les autres. C’est étouffant. C'est presque suffoquant. Et ça me rappelle combien
je déteste être près des autres quand je ne l’ai pas choisi. Alors pour
délester mon angoisse naissante, je regarde les gens, ça me détend.
On reconnait la salle d’attente d’une
maternité au nombre de femmes à gros ventre. Il y en a qui viennent avec leurs
gosses intenables. D’autres qui viennent avec leur conjoint désintéressé. Il y
a celles qui se touchent frénétiquement le ventre, comme pour prouver d’avance,
qu’elles feront des mères attentionnées. Il y a celles qui ont l’expérience du
lieu et qui gèrent, et celles qui « débutent » et qui errent. On
reconnait celles qui viennent à leur deuxième rendez-vous, celui pour le
neuvième mois, à leur assurance et au fait que, contrairement aux autres, elles ne
cherchent pas partout ou aller et quoi faire avec ce foutu ticket qu’elles
regardent encore et encore, elles aussi.
J’ai les bras nus et mes
tatouages apparents. J’ai mes boots en cuir et un chignon improvisé sur le sommet
du crâne. Ma frange droite cadre mon visage un chouille fermé. Je suis une
soignante au milieu de patients et j’ai l’impression qu’on me dévisage... Il
serait peut être temps que je lâche ma parano.
J’ai mis mon rouge de chagasse sur les lèvres, comme l’appelle mes copines infirmières, histoire de me donner du courage. Du
courage parce que j’ai cette petite pointe dans le plexus qui me dit que ça ne
va pas se dérouler comme il faut.
« Je vais faire un examen cardiaque à votre bébé pendant 30 min,
et une prise de sang pour vérifier qu’elle ne souffre pas d’anémie, et ensuite
je vous amènerais aux urgences pour passer une écho’ de contrôle, histoire de
vérifier que tout va bien… Et qu’elle bouge bien. Je vous programme d’ors et
déjà un examen cardiaque de contrôle pour après demain. Et un autre rendez vous
de contrôle avant le suivi du 9ème mois. Et puis, si elle ne bouge
pas, qu’elle ne se retourne pas, nous programmerons une hospitalisation dès 8h
pour toute la journée en salle de travail pour une manipulation visant à l’aider
à se retourner… »
Je repassais sans cesse dans ma
tête ce que la sage femme de l’hôpital venait de me dire alors que mes fesses
douloureuses reposaient à présent sur le siège de la salle d’attente des
urgences de la mater’. Je n'avais compris que la moitié des choses qu'elle m'avait dit. J'avais passé ma consultation à regarder par la fenêtre un ouvrier décharger sa camionnette en jurant. Je n'arrivais pas à me focaliser sur ce qu'elle me disait, je ne comprenais rien à son langage. Mon cerveau un peu sidéré allait à l'essentiel, et j'ai retenu "bébé en siège", "qui ne bouge pas", "potentiel trouble cardiaque", "prise de sang", "suivi de près", "hospitalisation". Pour finir, elle m'avait imprimé une feuille avec une multitudes de rendez-vous aux sigles incompréhensibles. J'ai enfourné la liste dans ma poche, il faisait trop chaud pour se prendre la tête.
Je regardais les portes s’ouvrirent et les femmes en plein travail entrer dans le hall, se tenant les reins et le ventre, suivi par un papa mi-excité, mi-flippé porteur d'un sac à langé près à craquer.
Je regardais les portes s’ouvrirent et les femmes en plein travail entrer dans le hall, se tenant les reins et le ventre, suivi par un papa mi-excité, mi-flippé porteur d'un sac à langé près à craquer.
Ces mêmes portes que je franchissais il y a deux
ans demi pour la naissance de Line, ces même portes qui m’avaient accueillies
et qui me filaient aujourd'hui la trouille au ventre à l’idée que je ne verrais peut être
pas ma deuxième fille naitre. Le genre de trouille irrationnelle quand le
ventre est aussi tendu que l’humeur. Le genre de trouille stupide et infondée quand
on est seule dans le hall des urgences, alors que toutes les femmes à gros
ventre sont accompagnées de leur mère ou de leur conjoint, et alors que j’aurai
eu besoin des deux. Le genre de peur pourtant bien réelle qui me tenait le bide
depuis les trois jours où je ne la sentais presque plus bouger…
« L’examen est bon. Elle pousse mon appareil avec ses pieds, on
dirait qu’elle n’aime pas trop ça ! On maintien quand même tous les
rendez-vous pour continuer le contrôle car elle n’est pas décidé à se mettre
dans le bon sens. Ce qu’il serait bien, ce serait de lever le pied sur la
position assise et sur votre activité pour lui laisser plus de place et pour
lui permettre de se retourner. »
Je suis sortie à peine soulagée
des quelques heures passées dans ce lieu qui pu le drap propre et la clim’ mal
réglée. Peut être parce que je suis soignante et médico-pessimiste.
Assise dans ma voiture sur le parking de la maternité, j’ai
contacté ma remplaçante pour lui proposer de me remplacer davantage, et plus
tôt que prévu, me gardant juste une matinée, bien décidée à ne pas quitter mes
patients sans leur avoir dit « au revoir »…Il y a des jours où il est
nécessaire d’avoir les fesses vissées sur un banc de salle d’attente entourée
de femmes à gros ventre pour comprendre de lever le pied et d’arrêter de
travailler.