Je ne sais pas vous, mais moi,
s’il y a un truc qui m’énerve, c’est d’être assise en tailleur devant la
télévision avec un bol de pop-corn entre les jambes en me rendant compte que
je suis totalement larguée dans la série que je suis en train de suivre. « Amour, gloire et santé » m’était
devenu aussi étranger que les notions d’équilibre alimentaire en cette veille
d’été.
De toute évidence, j’avais manqué un épisode, et ça me chafouinais. J’ai
donc repris une poignée de pop-corn, et je me suis installée, bien motivée à reprendre
le fil de ma série.
« Qu’est ce qui merde ? »
Je me suis posée la
question après voir entendu les inquiétudes de Françoise, l’héroïne du film « La vie des gens » d’Olivier
Ducray. A l’issu de la projection du
film, en présence du réalisateur, elle expliquait son inquiétude de voir notre
profession libérale disparaitre au profit des réseaux de santé et autres
maisons de soins privatisées, qui nous forceraient à mettre la clé sous la
porte de nos cabinets d’infirmières libres.
Mais « Qu’est ce qui merde chez nous ? Qu’est ce qui merde
dans ma profession que je trouve pourtant si géniale ? ». Avais-je les
yeux plein de bouse pailletée pour ne pas voir la vérité ? Etais-je à ce
point enfermée dans mon monde de licornes et de chatons-mignons que je n’aurais
pas vu l’inéluctable… Notre si jolie spécialité était-elle condamnée à
péricliter ?
Je ne me suis jamais vraiment
penchée sur ce qu’il y avait au-delà de mon métier de soignante. J’entends par
là : « syndicats, politiques et
médias ». Trois mots qui ne m’ont jamais vraiment attiré. Par
fainéantise peut être, par désintérêt surement. Parce que mon statut
d’infirmière rurale isolée dans sa brousse me donnait l’impression d’être toute
petite aux côtés des 110 000 autres et parce qu’à ma petite échelle j’avais
toujours eu l’impression que, quoi
que je dise, quoi je fasse, je ne
serais jamais écoutée et prise en compte. Alors à quoi bon...
Et puis il y a eu l’intervention
de Françoise et son inquiétude à demi teintée par son futur départ en retraite
(tant mieux pour elle !). Il y a eu les (trop) nombreuses agressions de nos consœurs
passées silence par nos politiques plus occupés à nous couper l’herbe sous le
pied qu’à nous soutenir, sous l’œil à peine investi des médias à notre
encontre. Il y a eu la crise de la sécurité sociale qui ne s’arrange pas et qui
frôle l’infarctus à chaque bilan de fin d‘année.
Et puis il y a eu, Marisol
Touraine : « Tin-tin-tin-tin ! » (faire le même bruit que dans les films
d’épouvante). Je persiste à croire que si notre profession devait disparaitre,
elle serait la première à mettre le coup de pelle qui creuserait notre trou.
Je reprenais une poignée de
pop-corn, m’installant confortablement dans le canapé, j’appuyais sur le bouton
« play » de ma
télécommande. Épisode en cours : « Marisol
la Sinistre recherche en vain à reconquérir le cœur de François et n’hésite pas
à utiliser son bébé, la « loi santé », pour obtenir à nouveau ses
faveurs et les rendre plus unis que jamais. »
A elle toute seule, notre
ministre mériterait une saison toute entière, mais au risque de voir les
téléspectateurs fuir, je vais la faire courte. Marisol, ministre des affaires
sociale, de la santé et des droits des femmes (fin de la dénomination, reprenez
votre respiration), s’est attelée comme tout bon ministre qui se respecte à
laisser une trace de son passage.
Mais de trace, Marisol Touraine a préféré
creuser un fossé : celui qui sépare les soignants de tout bord d’un
gouvernement de gauche qui n’a finalement de socialisme que la rose, mais avec
vachement plus d’épines.
Devant ce fossé, il y avait un
panneau marqué « loi santé »,
et un plus petit dessous, noté « 30
bis ». Infirmières, médecin, pharmaciens se sont tous retrouvés d’un
côté avec comme seul outils, des stéto’, des feuilles de soins papiers et des
banderoles de défilé pas toujours facile à déchiffrer. De l’autre côté il y
avait Marisol et sa pioche, et tout un gouvernement prêt à dégainer la
pelleteuse pour agrandir le trou que ceux d’en face semblaient vouloir
reboucher.
« tiers-payant généralisé, la santé sans payer ! »
On
croirait une promotion de grande surface. Le genre de garantie qui fait rêver
et qui te fait repartir en même temps avec un caddy rempli de conneries pas
prévues sur la liste (genre une mutuelle obligatoire de plus en plus cher à
laquelle va devoir souscrire chaque français).
Le tiers payant généralisé, c’est un peu le produit nouveau que tout le monde trouve génial (« c’est vrai ça, après tout, plus personne n’aura à avancer ses soins ! »), mais que personne ne veut acheter (« mais comment responsabiliser les patients si plus rien n’est payant ? »). Parce qu’on n’est pas sûr de sa rentabilité, même si le coupon de réduction vous promet d’être totalement remboursé (« Oh puis après tout les soignants sont payés assez cher comme ça, ils peuvent bien perdre leur temps en relance auprès des caisses et en paperasse pour toucher les impayés des mutuelles ! »).
Le tiers payant généralisé, c’est un peu le produit nouveau que tout le monde trouve génial (« c’est vrai ça, après tout, plus personne n’aura à avancer ses soins ! »), mais que personne ne veut acheter (« mais comment responsabiliser les patients si plus rien n’est payant ? »). Parce qu’on n’est pas sûr de sa rentabilité, même si le coupon de réduction vous promet d’être totalement remboursé (« Oh puis après tout les soignants sont payés assez cher comme ça, ils peuvent bien perdre leur temps en relance auprès des caisses et en paperasse pour toucher les impayés des mutuelles ! »).
Et si derrière cette banderole de
promotion accrocheuse se cachait finalement la privatisation latente d’un
système de santé sociale qui s’étouffe ?
Avec le tiers payant, il y a eu
le rebondissement des vaccins proposés aux pharmaciens qui n’avaient rien
demandé. Pour 10 € (contre 6€30 voire 4€50 chez les IDEL), les concitoyens
pouvaient se faire vacciner dans les officines, squeezant au passage les
infirmières libérales et les médecins généralistes en leur ôtant un peu plus
leur rôle de prévention à la vaccination. Quelle reconnaissance Marisol Touraine avait-elle de
notre métier pour ne pas penser à nous concerter avant ? Les syndicats et
l’Ordre infirmier ont fais pression : « Projet
de vaccination aux pharmaciens : supprimés ! », you
win ! Tout ça pour ça… Et pendant ce temps là, le coup de masse qu’elle
vient de m’asséner sur le coin de ma gueule d’infirmière m’enterre un peu plus profondément
dans le sol… Et je me sens de plus en plus petite.
Après l’incident fort fâcheux des
vaccins, nous avons eu le droit à la nouvelle promotion « Les soins infirmiers par tous ! » que proposait
l’article 30 bis. Celui de laisser des auxiliaires de vie, des aides soignantes
ou à tout autre salariés de structures sanitaires (tels foyers logements,
centres d’accueil, maisons de retraite médicalisées…) non diplômés des écoles infirmières
effectuer des soins infirmiers dans les établissements où le manque et / ou
l’absence d’infirmière se faisait sentir.
Et plutôt que d’embaucher dans les
secteurs concernés, Marisol Touraine avait préféré jouer l’économie en
rajoutant de nouvelles tâches à des salariés débordés, au détriment de la
sécurité des patients. Quelle idée se faisait-elle donc de notre métier pour
le dénigrer de la sorte et en laissant des non diplômés exercer un métier que
nous avons mis trois ans à apprendre ? Les syndicats et l’Ordre infirmier
ont fais pression : « Projet de
laisser les soins infirmiers au personnel non diplômé de l’IFSI :
abandonné ! », you win ! Et en attendant, un coup de masse de plus…
Le 10 avril dernier, après
pression de l’ordre infirmier, l’article 30 bis est tout bonnement abandonné.
Et puis une nuit, à la demande de
la députée PS des Côtes d’Armor, Annie Le Houérou, 19 voix contre 10 ont voté la
suppression de l’ordre infirmier (32 députés votant sur 577, où étaient donc
les autres ?!). Selon elle, notre ordre n’était pas assez représentatif d’une
profession forte de plus de 600 000 diplômés. Une députée décidant pour plus
d’un demi-million de concitoyens infirmiers, et personne ne sourcille. Formidable
reconnaissance de nos instance pour ses soignants... Je me sens toute petite infirmière dans ma brousse, et bien
loin de ceux qui nous dirigent d’en haut de la capitale.
« Qu’est ce qui merde chez les infirmières ? »Serait-ce uniquement dû à des gouvernements successifs incapables de prendre soin de ses soignants ? Serais-ce dû au manque cruel de fédération de la profession ? Parfois je me sens seule dans ma voiture ou le cul posé sur le siège de mon cabinet. Je me demande de quoi sera fait notre avenir et si nous serons assez fortes pour nous rassembler et assez nombreuses à se motiver pour se bouger le moment venu…
Parfois j’ai peur que Françoise
ai raison. J’ai peur qu’à force de me croire si petite, je ne puisse plus
soigner mes gens avec la liberté que mon statut de libérale m’offre et que mon
cœur de soignante soit entaché par l’économie, l’incompétence et l’ignorance de
certains dirigeants.